Paul & Mick Victor
2023-09-25 13:47:46 UTC
[P. comme Piano] (1)
"J’ai fait cinq ans de piano
Ah, la mélancolie des pianos silencieux ! Elle tient de la place dans
l’espace, et plus encore dans les esprits. « J’ai fait cinq ans de
piano. » La formule est presque toujours résignée. « J’ai essayé de m’y
remettre, mais c’est difficile. La souplesse des doigts… Et puis, jouer
pour qui ? »
C’est vrai, s’il s’agit de dérouler les délicatesses effleurées mais
jamais maîtrisées de La Lettre à Élise… Un peu plus d’autosatisfaction
à retrouver ce prélude de Bach, toujours le même, ou le mouvement lent
de La Sonate au clair de lune. Mais quoi ? On y réveille en pire son
impuissance d’autrefois. Derrière ce petit arsenal de morceaux
classiques à effet se lève une mélancolie rétive – l’idée qu’on n’a pas
pu susciter la mélancolie.
J’ai fait cinq ans de piano. Oh, on ne rêvait pas d’être un artiste !
Il aurait fallu bien davantage de temps, une rigueur presque
effrayante. Cinq ans de piano, c’est cinq années de cours plutôt
désagréables, parce qu’on n’avait pas assez travaillé dans la semaine.
« Tu as fait ton piano ? » Une petite phrase qui rappelle que les
parents paient pour ça. Rappelle surtout qu’ils espèrent voir naître
quelque chose, peut-être le dimanche après-midi, quand les invités
touillent leur café dans un demi-silence horripilant d’ostentation.
Bien sûr, on entend quelquefois « J’ai fait cinq ans de guitare, cinq
ans de football, ou cinq ans de gymnastique ». Mais beaucoup plus
souvent : « J’ai fait cinq ans de piano. »
Comme si dormaient dans ces sept mots tous les secrets des émotions
qu’on n’a pas su atteindre, ou provoquer. Comme si un pouvoir s’était
douloureusement refermé, la clé perdue d’une porte inconnue. J’ai
essayé un peu, mais les jours sont étroits."
Philippe Delerm : Je vais passer pour un vieux con. Éditions du Seuil,
2012.
--
Paul & Mick Victor
Et de deux !
"J’ai fait cinq ans de piano
Ah, la mélancolie des pianos silencieux ! Elle tient de la place dans
l’espace, et plus encore dans les esprits. « J’ai fait cinq ans de
piano. » La formule est presque toujours résignée. « J’ai essayé de m’y
remettre, mais c’est difficile. La souplesse des doigts… Et puis, jouer
pour qui ? »
C’est vrai, s’il s’agit de dérouler les délicatesses effleurées mais
jamais maîtrisées de La Lettre à Élise… Un peu plus d’autosatisfaction
à retrouver ce prélude de Bach, toujours le même, ou le mouvement lent
de La Sonate au clair de lune. Mais quoi ? On y réveille en pire son
impuissance d’autrefois. Derrière ce petit arsenal de morceaux
classiques à effet se lève une mélancolie rétive – l’idée qu’on n’a pas
pu susciter la mélancolie.
J’ai fait cinq ans de piano. Oh, on ne rêvait pas d’être un artiste !
Il aurait fallu bien davantage de temps, une rigueur presque
effrayante. Cinq ans de piano, c’est cinq années de cours plutôt
désagréables, parce qu’on n’avait pas assez travaillé dans la semaine.
« Tu as fait ton piano ? » Une petite phrase qui rappelle que les
parents paient pour ça. Rappelle surtout qu’ils espèrent voir naître
quelque chose, peut-être le dimanche après-midi, quand les invités
touillent leur café dans un demi-silence horripilant d’ostentation.
Bien sûr, on entend quelquefois « J’ai fait cinq ans de guitare, cinq
ans de football, ou cinq ans de gymnastique ». Mais beaucoup plus
souvent : « J’ai fait cinq ans de piano. »
Comme si dormaient dans ces sept mots tous les secrets des émotions
qu’on n’a pas su atteindre, ou provoquer. Comme si un pouvoir s’était
douloureusement refermé, la clé perdue d’une porte inconnue. J’ai
essayé un peu, mais les jours sont étroits."
Philippe Delerm : Je vais passer pour un vieux con. Éditions du Seuil,
2012.
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Paul & Mick Victor
Et de deux !