Paul & Mick Victor
2023-09-26 04:42:20 UTC
Celle-là est dédiée à Melmoth, de tout cœur et sans persiflage.
[L. comme Liszt] :
J’errais sur les sentiers du mont Palatin, dense de fantômes d’avant
Jésus-Christ, d’éclats de colonnes et de profils brisés. Jamais on ne
pourra épuiser le charme étrange de cette terrasse sur Rome, si
patricienne et délicate et j’eus du mal à la quitter. Je descendis vers
la Via Sacra. La basilique de Sainte-Françoise-Romaine dressait ses
murs à la lisière du Forum, entre les ruines de marbre et les cyprès
obscurs. Je songeai que là, dans son couvent, Liszt avait composé son
Requiem pour que la mort, dans la chaude lumière de Rome, y soit plus
douce.
Liszt ? Pourquoi pensai-je à Liszt quand j’avais encore à graver la
Deuxième Sonate de Chopin, à travailler une pièce de Bartok ? Sans
doute par souci de rupture avec la tristesse qui m’avait anesthésiée
pendant ces derniers mois, la fatigue, l’anorexie d’élan vital. Je
gardais, de cet élan vital justement, le souvenir de la sonate "Après
une lecture du Dante" que j’avais interprétée devant Jorge Bolet, à mes
tout débuts – un morceau du corps et de l’âme qui requiert la plus
grande virtuosité en même temps qu’une extrême délicatesse, comme
« l’amour, couple enlacé, triste et toujours brûlant,
Qui dans un tourbillon passe une plaie au flanc ».
Sous le soleil de Rome, j’eus brusquement la tentation de mettre mes
pas dans ceux de cet immense musicien, de suivre son exemple, son art
prodigieux d’avoir vécu intensément, joyeusement, inlassablement –
voyages, amours, rencontres. La vie de Liszt vous faisait croire aux
contes de fées, à la justice immanente, aux récompenses d’un destin
génial et d’une œuvre éclatante. Il a accompli la forme parfaite d’un
mouvement unique, sa vie et son œuvre dans la même inventivité, et les
deux dans le compagnonnage de Dante, mais aussi de Byron, Goethe,
Shakespeare ou Raphaël. Et puis Liszt, ce fut aussi le besoin pressant
d’une retraite, de solitude, de recueillement et c’est à Rome,
justement, entre le Forum et le Vatican qu’il était venu les chercher,
pour assouvir dans cette aspiration sa soif d’être libre – et alors
d’être bon.
Hélène Grimaud : Leçons particulières. Pocket, 2007.
--
Paul & Mick Victor
Allez, petite Grimaud, barbouilleuse de papier
[L. comme Liszt] :
J’errais sur les sentiers du mont Palatin, dense de fantômes d’avant
Jésus-Christ, d’éclats de colonnes et de profils brisés. Jamais on ne
pourra épuiser le charme étrange de cette terrasse sur Rome, si
patricienne et délicate et j’eus du mal à la quitter. Je descendis vers
la Via Sacra. La basilique de Sainte-Françoise-Romaine dressait ses
murs à la lisière du Forum, entre les ruines de marbre et les cyprès
obscurs. Je songeai que là, dans son couvent, Liszt avait composé son
Requiem pour que la mort, dans la chaude lumière de Rome, y soit plus
douce.
Liszt ? Pourquoi pensai-je à Liszt quand j’avais encore à graver la
Deuxième Sonate de Chopin, à travailler une pièce de Bartok ? Sans
doute par souci de rupture avec la tristesse qui m’avait anesthésiée
pendant ces derniers mois, la fatigue, l’anorexie d’élan vital. Je
gardais, de cet élan vital justement, le souvenir de la sonate "Après
une lecture du Dante" que j’avais interprétée devant Jorge Bolet, à mes
tout débuts – un morceau du corps et de l’âme qui requiert la plus
grande virtuosité en même temps qu’une extrême délicatesse, comme
« l’amour, couple enlacé, triste et toujours brûlant,
Qui dans un tourbillon passe une plaie au flanc ».
Sous le soleil de Rome, j’eus brusquement la tentation de mettre mes
pas dans ceux de cet immense musicien, de suivre son exemple, son art
prodigieux d’avoir vécu intensément, joyeusement, inlassablement –
voyages, amours, rencontres. La vie de Liszt vous faisait croire aux
contes de fées, à la justice immanente, aux récompenses d’un destin
génial et d’une œuvre éclatante. Il a accompli la forme parfaite d’un
mouvement unique, sa vie et son œuvre dans la même inventivité, et les
deux dans le compagnonnage de Dante, mais aussi de Byron, Goethe,
Shakespeare ou Raphaël. Et puis Liszt, ce fut aussi le besoin pressant
d’une retraite, de solitude, de recueillement et c’est à Rome,
justement, entre le Forum et le Vatican qu’il était venu les chercher,
pour assouvir dans cette aspiration sa soif d’être libre – et alors
d’être bon.
Hélène Grimaud : Leçons particulières. Pocket, 2007.
--
Paul & Mick Victor
Allez, petite Grimaud, barbouilleuse de papier