Paul & Mick Victor
2023-10-02 00:52:03 UTC
À propos du métronome, j'ai retrouvé une contribution que j'avais
postée sur ce forum en 2002, et que je redonne ici, parce qu'elle était
admirable. T'imagines ? plus de 20 ans ! C'est une tranche de vie !
C'est qu'il s'en passe des choses, en 20 ans ! Tu te souviens ? 2002,
l'arrivée de l'euro, Le Pen au second tour des élections… C'est déjà de
l'Histoire. Au printemps, j'avais trois amis, chantait Marie-Noël, la
bonne dame d'Auxerre. Le premier est fol devenu, le deuxième est mort
devenu, le troisième est vieux devenu, à quoi répondait en écho le
pauvre Rutebeuf, ce sont amis que vent emporte… À cette époque, il
n'était pas rare qu'un fil de framc comporte une centaine de
commentaires. Et attention ! il y avait du contenu, des idées ! des
contradictions ! des arguments ! On ne se contentait pas de balancer un
lien Youtube ! On retrouvera tout au long de cette interminable
contribution quelques allusions à Melmoth, Toulet, Gero, le psychiatre
(†), Tournier (†), Yves C., Nutella (c'était David le Marrec, ainsi
surnommé parce qu'il tartinait encore plus que moi), Redis-le-Moelleux,
(c'était Patachon, également dit la Patache mortelle, avec qui j'avais
eu quelques sanglantes engueulades), Papidécati, (c'était G. Préyale),
Sergent, Trop Polloli pour être au Net, mon collègue et néanmoins ami,
et les filles, La Fred, Papagena. Ceux qui sont fous devenus, ceux qui
sont morts devenus, ceux qui sont vieux devenus, ceux que le vent a
emporté. Ça s'appelait "Les invraisemblables aventures de Maelzel", et,
en relisant, c'était, après tout pas mal troussé.
"La neige colle aux carreaux, les bûches crépitent dans l'âtre,
réjouissez-vous, gens du forum. Paul & Mick Victor va vous narrer les
invraisemblables aventures de Maelzel. Approchez, mes enfants, faites
cercle, allez chercher les absents, installez vous bien à l'aise, les
plus petits devant, s'il te plaît Melmoth, cesse de te gratter les
khouilles, mon garçon, et laisse la place à papidécati, mais oui, il
est plus petit que toi, et il n'entend pas très bien, le pauvre. Tout
le monde est installé, ça y est ? La Fred et Papagena, soyez sympa, les
filles, vous aurez tout le temps après pour raconter vos histoires,
hein…
Adoncques, sur le tableau de bord de notre machine à remonter le temps,
réglons le transfusateur inductif à bobines tri-magnétiques sur la date
du 15 août 1772. Fermons les yeux un moment, ça secoue un peu, n'aie
pas peur, Nutella, ça ne sera pas long, d'ailleurs nous y voilà,
Ratisbonne, tout le monde descend ! Ratisbonne, vous ne connaissez
peut-être pas, c'est une charmante petite localité de Bavière, sur le
Danube, localité que les Allemands, ces khons, n'appellent pas
Ratisbonne, mais Regensburg, pour d'obscures raisons teutonnes sur
lesquelles il serait inutile de s'étendre. En ce 15 août 1772, le
soleil rayonne, il fait très chaud et toutes les fenêtres sont
ouvertes. Braquons notre objectif indiscret vers les fenêtres du 19
Müllerstrasse. Quelle curieuse agitation aujourd'hui chez les Maelzel !
On fait bouillir de l'eau, le vieux Tobias Nussbaumer, le médecin,
entre précipitamment dans l'immeuble, enfin des cris de nourrisson
viennent secouer la torpeur de ce début d'après-midi estival. Madame
Maelzel vient de mettre au monde un adorable bambin de 3,6 kilos.
Comment c'est-y qu'on va l'appeler, ce p'tiot ? demande l'heureuse
maman à son bonhomme de mari. T'as pô une idée, toi ? Monsieur Maelzel
père se gratte la tête, ben non, j'en ai pô… — J'en ai pô, j'en ai pô,
répète le vieux Tobias Nussbaumer, hilare, Jean-Népo… mucène !! Adjugé
vendu, il s'appellera Jean-Népomucène, ce qui avouez-le, est un nom
rigolo, mais bien difficile à porter.
Le petit Jean-Népomucène, qu'on appelle toujours par facétie Jean-Népo,
grandit donc, jours heureux de l'enfance, entre une mère aimante dont
le cœur est un réservoir infini de tendresse, et un papa qui cache sous
une apparente sévérité des trésors d'indulgence. Il est facteur, le
papa de Jean-Népo, non pas le facteur que vous connaissez, celui qui
vaillamment, chaque jour, au mépris de la pluie et du vent, affronte la
boue du chemin ou le soleil de plomb de nos étés qui ne sont plus ce
qu'ils étaient, pour vous apporter le catalogue de la Redoute (qui
c'est qu'a dit des 3 Suisses ?) ou la feuille d'impôt tant espérée,
non, il est facteur d'orgue. Qu'est-ce ça veut dire ? Ca veut dire,
Toulet, qu'il fabrique des orgues. C'est un bricoleur, le papa Maelzel,
et un bricoleur de génie. Rouages, ressorts, cames, leviers, pistons,
bielles, poulies, il est aussi à l'aise devant un engrenage compliqué
qu'un gynécologue devant un chancre mou, je t'expliquerai, Papagena.
Lorsqu'une machine tombe en rideau dans Ratisbonne, qui c'est qu'on va
chercher ? Le père Maelzel ! Quand l'horloge municipale dékhonne et
sonne midi à 14 heures, qui c'est qu'on va chercher ? Le père Maelzel !
Quand la batteuse-lieuse du vieil Hermann ne bat plus rien que la
breloque, qui c'est qu'on va chercher ? Le père Maelzel ! (qui est
d'ailleurs très prudent avec ces engins, vu qu'il s'est déjà fait
happer le bras par une batteuse-lieuse en 1762, et qu'on l'a surnommé
depuis par dérision, les gens sont méchants, l'happé de Ratisbonne…)
Musique et mécanique, tel est donc le credo du père Maelzel, qui offre
à son fils, outre des leçons de piano, un beau meccano, un vrai, avec
des pièces en métal bleues et jaunes bien rangées dans leur boîte, la
petite clé pour serrer les écrous, vous ne connaissez pas, les jeunes,
c'était autre chose que les Playmobil ou les Lego en plastoc qu'on fait
maintenant. Qu'est-ce que tu veux faire, plus tard ? qu'elle demande,
la maîtresse au petit Jean-Népo, qui répond invariablement : je serai
musimécanicien… Ca 'xiste pas, s'esclaffent ses petits khamarades. Et
ben, je serai le premier, dit l'entêté gamin en serrant ses petits
poings, et celui qu'est pas d'accord, jui pète la gueule à la récré…
Alors il récolte une punition, et il se trompe, l'innocent bambin.
C'est qu'il ne peut pas savoir que bien des années avant lui, le père
Athanase Kircher, jésuite génial et baroque, méritait déjà ce titre
merveilleux de musimécanicien. Mais ceci est une autre histoire que je
vous conterai un jour, si vous êtes sages…
Adoncques, le jeune Jean-Népo fait des progrès rapides, ben tiens,
quand on travaille sérieusement ses gammes et ses arpèges, hein, Yvecé
? Si bien qu'à 14 ans, il est considéré comme l'un des meilleurs
pianistes de Ratisbonne, et qu'il commence à donner des leçons, dont il
rapporte ponctuellement tout l'argent à sa maman, ne distrayant que
quelques piécettes pour s'acheter Système D, le Haut-Parleur, ou plus
rarement les Folies de Paris-Hollywood, ben quoi, t'as jamais été
travaillé par la puberté, toi ? Y'a pas que la partie mécanique, dans
la vie, y'a aussi la partie mec à nique, hein… Elle est excellente.
Mais l'appel des rouages est le plus fort. Il en rêve la nuit, quand
les engrenages dansent leur samba effrenée autour de son lit, il en
rêve le jour, et dans sa tête pistons et bielles pratiquent d'obscènes
copulations sous l'œil lubrique des ressorts à boudin et des écrous.
C'en est trop… En 1802, le 16 septembre, je m'en souviens comme si
c'était hier, il venait d'avoir 30 ans, comprenant que Ratisbonne,
c'était bien gentil, mais que pour un fondu de la mécanique, ça
manquait un peu d'avenir, il fait son baluchon, embrasse sa vieille
maman, son papa qui est en train de rafistoler un coucou de la Forêt
Noire, et il s'écrie : À nous deux, Paris !
Car avant d'aller se perfectionner dans son art à Londres, puis à
Vienne, c'est à Paris d'abord que Jean-Népo va chercher la gloire. On
ne voit que lui au rayon bricolage du BHV. Chez Castorama, on l'appelle
Monsieur Maelzel gros comme le bras, vu le pognon qu'il y laisse, ils
peuvent bien, hein, et les jours de Salon du Bricolage ou de Concours
Lépine, il est le premier à franchir le seuil et le dernier à quitter
les lieux. C'est à cette période qu'il s'attelle à la fabrication du
Panharmonikon, dont trop Polloli pour être honnête a rappelé que ça
n'avait pas de rapport avec les points Mekilékon. J'ai déjà parlé
longuement de ce mystérieux instrument, mais comme personne n'écoute,
hein ! C'est malheureux, mais on ne sait pas exactement à quoi
ressemblait ce bouzin. D'après les descriptions de l'époque, il
s'agissait d'une machine imposante composée de flûtes automatiques, de
clarinettes, de trompettes, de violons, violoncelles, tambours,
cymbales et triangle. Il pouvait également tirer des coups de
mousquets, pistolets, et canon. Il était paraît-il très puissant, mais
capable d'exécuter les nuances forte et piano avec une grande
précision. On peut penser que le Panharmonikon ressemblait à un
Limonaire. Il en existait un exemplaire au Landesgewerbemuseum (à tes
souhaits !) de Stuttgart jusqu'en 1942, date à laquelle ce musée fut
entièrement détruit lors d'un raid de l'Uhessairforce. C'est pour le
Panharmonikon, à la demande de Maelzel, que Beethoven entreprend de
composer la "Bataille de Vittoria" mais les deux hommes se fâchent et
le Grand Sourd, qui a de la suite dans les idées et de la rancune,
continue son œuvre, mais pour un orchestre symphonique cette fois…
Le Panharmonikon est présenté d'abord à Vienne, puis à Paris. Outre
Beethoven, Cherubini compose pour lui une pièce intitulée "Écho", mais
bon, Maelzel a besoin de pognon, il projette la construction d'un
nouveau modèle plus perfectionné, et vers la fin de 1807, il vend la
première version de son instrument pour la somme colossale à l'époque
de 60.000 francs. Il construit une deuxième prototype, qu'il emportera
bien plus tard aux États-Unis, et vendra à un riche américain pour
400.000 dollars. Mais revenons en cette fin d'année 1807. Après avoir
vendu son bouzin, Maelzel s'attache à la construction d'une nouvelle
machine, considérée comme son chef-d'oeuvre : le trompette automate. De
quoi s'agit-il ? demande Nutella dont les yeux brillent ! Et bien, père
la tartine, il s'agit ni plus ni moins que d'un joueur de trompette
mécanique, grand comme ça, avec soufflerie, percolateur coaxial et
réservoir à hélium concentré sous-jacent, taquet de dévérouillage
hélicoïdal, et tout et tout… Tu tournes la petite clé, tu mets les
piles, tu remplis de pétrole, t'allumes la mêche, et ça joue de la
trompette, avec une sonorité fabuleuse, et une virtuosité que même
Georges Jouvin avec sa trompette d'or, il pourrait pas faire mieux. La
vie d'un inventeur, parfois, c'est comme un conte de fée, on a bien
raison de le dire. La renommée de Jean Népo parvient vite aux oreilles
de l'empereur d'Autriche, rien que ça, qui le convoque dans son palais,
lui pince l'oreille, il a vu faire ça en France, et c'est ainsi que
l'enfant de Ratisbonne est élevé en 1808 au poste prestigieux de
Mécanicien en chef de la Cour, 1er échelon, avec clé à molette de
fonction, et décoré séance tenante de l'emblème de sa nouvelle dignité,
la pince-crocodile de vermeil sur fond de cambouis. Une nouvelle vie
commence.
Qu'est-ce qu'il y a, Redis-le-Moelleux ? tu ne comprends pas tout très
bien ? T'as envie d'aller faire pipi ? Bon, on va faire une petite
pause les enfants, le temps que j'ouvre une bière…
Ah, ça va mieux. Allez, on reprend. Installez-vous… Ben Gero, c'est à
cette heure-ci que tu arrives ? Tu faisais la sieste ? C'est dommage,
t'as raté le début. Tournier et Sergent, poussez un peu, dans le fond,
faites une tite place pour Gero. Allez Redis-le-Moelleux, dépêche-toi,
mon grand. Qu'est-ce qu'il y a ? T'arrives pas à te reboutonner ? Il me
tue, ce garçon !
Bon, où en étais-je ? Ah oui. Adoncques, Maezel est à la cour de
l'empereur d'Autriche, et c'est à cette époque, nous sommes en 1808,
qu'il commence à travailler sur le métronome. Alors là, je dis :
attention ! Pour bien des gens, le métronome c'est Maelzel, sans
réfléchir davantage, comme le cachou c'est Lajaunie, le camping c'est
Trigano ou les capotes anglaises, c'est Durex. Là, je répète :
attention, et je m'insurge. Prenez en main votre métronome, le vieux
j'entends, pas de ces machins électriques qu'on fait maintenant, la
belle pyramide en bois ciré avec la petite clé qui dépasse sur le côté.
Regardez-le bien ! Il a inventé quoi, Maelzel, là-dedans ? Il a inventé
la réglette graduée ousqu'il y a les chiffres et les indications de
tempo. Et c'est tout ! Tout le reste, c'est pas de lui. Et pourtant,
lorsqu'on dit "métronome", y'a toujours l'érudit de service pour citer
Maelzel, et la huitième symphonie du Grand Sourd, hommage au tic-tac de
la musicale mécanique. À ce propos, je ne suis pas toujours d'accord
avec trop Polloli pour être honnête sur les indications métronomiques
chez Beethoven, mais j'écris en ce moment un mémoire de 756 pages qui
sera publié en temps utile et apportera des révélations fracassantes
sur ce sujet…
L'idée d'un petit instrument qui servirait à battre la mesure et à
mesurer les temps n'est pas nouvelle à cette époque. Bien des années
auparavant, le grand Sauveur avait décrit dans les "Principes
d'acoustique" un tel appareil, conçu sur le modèle du pendule, et qu'il
avait appelé naïvement le Chronomètre. Ah, Sauveur ! Avec le père
Mersenne, avec Loulié, que ne lui doit-on pas ? Je vous parlerai un
jour de ses travaux sur les sons harmoniques, je vous raconterai
l'histoire de l'échomètre, que voilà un grand esprit, Sauveur ! Mais
revenons à nos moutons. Donc l'idée est dans l'air. Du chronomètre au
métromètre, les têtes pensantes se penchent sur le problème. En
Allemagne, un musicien du nom de Stoeckel a imaginé un appareil de ce
type, jamais réalisé parce que de dimensions colossales, mais dont il a
donné une description détaillée dans la Gazette Musicale de Leipzig,
pour ceux qui ont encore les vieux numéros, c'est à la page 673. On ne
sait pas grand chose de ce Stoeckel, sinon qu'il était cantor à Burg,
près de Magdebourg, et qu'il aimait par-dessus tout la crème caramel,
surtout quand elle était un peu brûlée. Toujours est-il que la Gazette
Musicale de Leipzig tombe un jour entre les mains de Jean-Népo, qui lit
l'article de Stoeckel avec une attention fiévreuse, et entreprend de
réaliser le bouzin décrit à la page 673.
Le problème du métromachin de Stoeckel, c'est qu'il est très gros, trop
gros, tu peux pas l'emporter avec toi en répète, il faut louer une
camionette… Et pourquoi qu'il est si gros, le bidule ? Simplement parce
que Stoeckel n'a pas su résoudre ce problème qui nous paraît
aujourd'hui si élémentairement enfantin : comment faire varier la
vitesse de battement sur une même mécanique ? Le métromachin battait
bien des vitesses différentes, mais pour chacune de ces vitesses, il
fallait une mécanique distincte, une pour lento, une pour adagio, une
pour andante, et t'essaieras, et t'essaieras… Tu vois d'ici l'engin. Et
Maelzel, pas plus que Stoeckel, ne trouve la soluce au problème. Il a
beau se creuser les méninges, rien, il est sec, Jean-Népo. Là, il est
tombé sur un os. Il y pense encore en 1812, lorsqu'il se rend en
Hollande pour faire un peu de lèche-vitrine. C'est là qu'il a l'idée
d'aller consulter son confrère en mécanique, le grand Winkel. Un petit
mot sur Winkel, mais rapide, pour ne pas lasser l'auditoire. Il se
prénommait Diedrich, ou Thierry-Nicolas, on n'est pas très fixé, et
avait commencé sa carrière en construisant des métiers à tisser, avant
de se lancer dans la facture d'orgues mécaniques, domaine dans lequel
il se fit vite remarquer pour la perfection de ses instruments. Winkel
reçoit fort poliment son concurrent, mais néanmoins ami, écoute
attentivement les données du problème, examine les plans et les
feuilles de calcul, et dit que bon, il va y réfléchir, et les deux
compères finissent la soirée en torchant une bouteille (certains disent
deux, d'autres trois) de genièvre dans un bar louche de Kalverstraate.
Maelzel rentre en Autriche avec une bonne gueule de bois, et oublie le
métromachin. Quelques années plus tard, nous sommes en 1815, il
retourne à Amsterdam pour présenter son Panharmonikon, rappelez-vous,
le nouveau modèle, et voilatipa que quelqu'un lui tape sur l'épaule,
c'était, vous l'avez deviné, Thierry-Nicolas Winkel. Salut, ça va, et
la petite famille, et tout ça, et tu te rappelles le problème que tu
m'avais soumis il y a trois ans, et ben ça y est, je crois que j'ai
trouvé ! Non ? Pas possible ? demande Jean-Népo, qui l'a complètement
oublié, et qui ne garde de son séjour dans la capitale batave que le
souvenir d'une cuite monumentale et d'une chaude-lance qui lui avait
fait pisser des lames de rasoir pendant trois mois au moins. Mais si,
qu'il insiste, Winkel, viens à la maison, je te montrerai. Assieds-toi,
prends un verre, un petit genièvre, ça nous rappellera le bon temps,
regarde, c'est enfantin, comme le dira dans quelques siècles P&MV : il
suffit d'une seule mécanique, avec un balancier, un seul, sur lequel on
ferait glisser un poids, de façon à déplacer le centre de gravité et à
imprimer des vitesses différentes au bidule. Ébloui par tant de géniale
simplicité, Maelzel se frappe le crâne violemment, mais bordel de
merde, mais oui, c'est bien sûr, quel khon, mais quel khon, mais que je
suis khon, c'est rien de le dire… Et Winkel de le consoler, mais non,
mais non, ça arrive à tout le monde, tiens, reprend un verre, mon gars,
et on ira voir les filles…
Maelzel revient à nouveau en Autriche, avec une gueule de bois qui vaut
largement la précédente, et là, soyons honnêtes, il se comporte comme
un salaud. Je n'aime pas dire du mal des gens, mais là, vraiment, comme
un salaud ! Ce pourri s'approprie la découverte de Winkel, remplace le
balancier par une réglette graduée, la seule partie du métronome qui
soit vraiment de lui, et présente l'objet fini à l'Institut de France,
qui donne son approbation dans la "Notice sur le métronome de Maelzel"
(Paris - 1816 - in-8 de 24 pages). Pire encore, poussé par l'appât du
gain, il crée à Paris une société commerciale pour fabriquer et
diffuser la géniale mécanique qui lui doit si peu. Il n'est pas exagéré
de dire qu'il se fait des khouilles en or. Winkel en est très attristé,
et quelque peu irrité, faut se mettre à sa place. Il fait paraître un
article cinglant dans la Revue Musicale de Leipzig, décidément la seule
revue qu'on semble lire à l'époque, (c'est dans le N° 25 pour ceux qui
ont gardé les archives) article où il explique que le monde est
méchant, et qu'il n'y a qu'un inventeur du métronome, et que c'est lui.
A l'occasion d'un déplacement de Maelzel en Hollande, Winkel demande
même à corzéacris l'arbitrage de l'Institut des Pays-Bas, qui examine
longuement le dossier, et convoque les deux compères. La vérité oblige
à dire que devant la commission, sommé de s'expliquer, Maelzel baisse
lamentablement son froc, reconnaît piteusement qu'il s'est comporté
comme un pignouf et un dégueulasse, mais que, hein, après tout, la
petite réglette graduée, c'est quand même bien de lui. L'affaire est
close.
L'affaire est close, mais la fortune souriant décidément aux salaud,
Maelzel continue d'empocher les bénéfices dégagés par la vente de son
métronome, dont il inonde l'Europe, et sans reverser un pélot à Winkel,
pas khon, Jean-Népo. Nous sommes à présent, petits amis, en 1817, et
Maelzel demeure à Vienne. C'est là qu'une nouvelle imposture va le
désigner à l'opinion publique : il s'agit du célèbre joueur d'échecs.
On a tout dit de ce joueur d'échec. Le grand Edgar Allan Poe lui-même
lui a consacré une nouvelle, dont vous lirez la traduction admirable de
Baudelaire. De quoi s'agissait-il ? D'une machine, d'un automate
capable de jouer aux échecs, et de gagner. À l'heure où Vladimir
Kramnik vient d'arracher le nul contre Deep Frizt et d'empocher 700.000
dollars, le sujet est d'actualité. Maurice Beaucaire, le sympathique
président de l'Union Échiquéenne de France, nous a donné une
description de cette étonnante mécanique : "L'automate était assis en
face d'un échiquier garni de toutes ses pièces. Il pouvait lever le
bras, saisir une pièce, et la plaçait sur la case où elle devait être
placée". Là encore, c'est bien à tort que le Joueur d'échecs est
attribué à Maelzel, qui s'est contenté de le racheter aux héritiers de
son véritable inventeur après le décès de celui-ci, j'ai nommé le baron
Wolfgang von Kempelen. Un mot sur ce baron, vous insistez vraiment ?
Souate ! Il était né à Presbourg en 1720, et accumulait les charges et
les titres prestigieux, puisqu'il était, entre autres, Conseiller de la
cour royale et impériale, Référendaire à la chancellerie de la cour
royale de Hongrie et Président de l'amicale bouliste des joyeux
cochonnets de la Haute-Vienne… C'était également un bidouilleur de
génie, à qui l'on doit la conception d'une machine parlante très
ingénieuse, décrite dans "Mechanismus der menschlichen Sprache, nabst
der Beschreibung einer sprechenden Maschine", publiée à Vienne en 1701,
avec 27 planches.
Le Joueur d'échecs avait été inventé dès 1770, mais c'est seulement au
début du XIXe siècle que Maelzel, le nouveau propriétaire, avec le sens
pratique et commercial que nous lui connaissons, lui apporte la
consécration. Allons, je peux bien vous le dire maintenant, c'est comme
au music-hall, dans le numéro du magicien, quand on met la bonne femme
dans la boîte et qu'on scie le cercueil, y'a un truc, une astuce à la
Robert Houdin. En fait, un vrai joueur d'échecs est caché dans le
coffrage de la machine, sous la table qui supporte l'échiquier, et
lorsqu'on ouvre ce coffrage pour montrer que non, y'a rien, un
astucieux système de miroirs dissimule le bonhomme. Ce joueur d'échecs
en chair et en os s'appelle M. Boncourt. Il a une qualité, il joue très
bien aux échecs, il a un défaut, il est très grand, il est trop grand,
si bien qu'il est obligé de se plier en quatre pour rentrer dans la
machine, et qu'il lui faut une bonne heure après la représentation pour
se déplier et retrouver l'aisance de ses mouvements, sans compter le
mal de dos.
Comme pour le métronome, Maelzel s'approprie sans vergogne la paternité
du Joueur d'échecs, ben dame, quand on a posé un pied sur la pente ô
combien savonneuse du crime, hein… Pire encore, il fauche une autre
invention de Kempelen, la machine parlante dont je vous ai déjà parlé,
et l'adapte dans le joueur d'échecs pour lui faire dire d'une petite
voix khonne : "Échec et mat"… Et dans la foulée, il dépose un brevet
pour une poupée parlante fonctionnant sur le même système de Kempelen
et qui dit : bonjour papa, bonsoir maman, la poupée, pas Kempelen. Faut
le faire, hein !
On pourrait écrire un livre sur les périgrinations du Joueur d'échecs.
Je ne manquerai pas de le faire dès que je serai à la retraite. Il est
présenté dans l'Europe entière, et rapporte des fortune à Jean-Népo
(fortunes qu'il gaspille d'ailleurs dans les bouges mal famés,
l'alcool, le strupre et la fornication, car il est aussi débauché que
malhonnête). L'automate dispute même une partie contre l'empereur
Frédéric à la cour de Berlin, partie que ledit Frédéric perd
d'ailleurs, ce qui incite le monarque à acquérir la machine. Elle reste
quelques années dans un placard, à prendre la poussière, jusqu'au jour
où Napoléon passant par là, ouvre le placard, récupère l'objet, lui
fait donner un petit coup de peinture et le ressuscite pour quelque
temps. Le prince Eugène, un grand gamin, ne résiste pas. Dès qu'il voit
le bidule, il tape du pied, trépigne, j'le veux, qu'il gueule, j'le
veux ! et il l'achete séance tenante 30.000 francs à Napoléon, qui
s'est bien gardé de lui expliquer qu'il y avait un truc et qui se marre
comme une baleine, quel khon, ce prince Eugène, qu'il dit à Joséphine,
le soir dans la couche impériale.
Le fait est que le prince Eugène s'est fait rouler, et dès qu'il s'en
aperçoit, il cherche à se débarrasser de la machine. Comme par hasard
Maelzel passe par là, mais hein, c'est de bonne guerre, c'est plus le
même tarif, et il récupère sa mécanique pour une bouchée de pain,
heureux de n'avoir pas réalisé une trop mauvais opération financière.
Comme M. Boncourt ne veut plus rentrer dans la boîte, faut se mettre à
sa place, à cet homme, il est remplacé par M. Alexandre, puis par M.
Mouret, et Maelzel reprend ses tournées en Europe, gagnant du pognon à
ne savoir qu'en faire, et le dépensant tout aussi vite avec des femmes
de mauvaise vie, des créatures qu'à côté desquelles les filles qui
fréquentent ce forum, malgré toutes leurs turpitudes, seraient
considérées comme des oies blanches. Pire encore, il paye ses joueurs
d'échecs au lance-pierre, le Jean-Népo, si bien que les malheureux,
déjà que passer des heures dans une boîte, c'est pas drôle, touchent
pour ça des clopinettes et se vengent bassement du patron en dévoilant
le truc à qui veut l'entendre. Très vite, ce mauvais procédé porte ses
fruits, et Maelzel est grillé. Le joueur d'échecs ? Y'a un truc, hé
patate ! Sans compter que ce panier percé accumule les dettes, et se
voit quotidiennement harcelé par une bande de créanciers féroces. Comme
bien d'autres, il se résout donc à l'exil, et, remplissant ses malles
d'automates, de son Panharmonikon, de son métronome, de son joueur
d'échecs, de son danseur de corde, et de bien d'autres trucs encore, il
passe en Amérique. Les douanes et les contrôles de police devaient être
moins sévères à l'époque. Aujourd'hui, avec un bric-à-brac pareil, il
ne pourrait jamais monter dans un avion, Jean-Népo. Je te dis pas le
portique de sécurité, comment qu'il se mettrait à couiner, hein…
Nous sommes à présent en 1827, le Grand Sourd s'éteint, et Maelzel
conquiert l'Amérique avec ses inventions. De New York à Philadelphie,
puis de Philadelphie à Boston où il s'installe, son succès est
considérable, ces yankees sont de grands enfants, ils se pressent pour
voir le Joueur d'échecs, le Panharmonikon, le danseur de corde, le
tompette automate. Il gagne des millions de dollar, Jean-Népo, et il
continue à produire des trucs pas possibles, tel cet automate à larynx
mécanique capable de monter et de descendre des gammes diatoniques et
chromatiques. Il perfectionne même le métronome, encore une fois à
partir de l'idée d'un autre. C'est en effet à Amiens que l'horloger
Bienaimé-Fournier a eu l'idée de fabriquer un métronome qui accentuait
certains battements, tous les deux, trois, ou quatre coups, de façon à
indiquer également les mesures. Maelzel adapte cette trouvaille,
intégre une petite sonnette qui marque ces coups accentués, et vend le
brevet à M. Wagner, horloger à Paris. C'est ce M. Wagner qui
construira, pendant des décennies, ces beaux métronomes qui sentaient
bon la cire et qui surmontaient si joliment les pianos des salons de
nos grands-mères.
Tout à une fin, petits amis. Un jour qu'il faisait un voyage vers
Philadelphie, Maelzel mourut, qui l'eût cru, pleurez mes yeux, c'était
au mois d'août 1838, il avait tout juste 66 ans. Le médecin appelé
essaya vainement de tourner la clé, de remonter le ressort, rien n'y
fit. La mécanique était cassée à jamais.
Et voilà qu'il est temps de nous séparer, petits amis. J'espère que mon
histoire vous a plu, et je vous souhaite une bonne nuit. Vous remettrez
les chaises en place en sortant, tiens, Redis-le-Moelleux s'est
endormi, c'est toujours comme ça quand il ne comprend pas très bien,
Melmoth, cesse de te gratter les khouilles, c'est agaçant à la fin, mon
garçon…"
postée sur ce forum en 2002, et que je redonne ici, parce qu'elle était
admirable. T'imagines ? plus de 20 ans ! C'est une tranche de vie !
C'est qu'il s'en passe des choses, en 20 ans ! Tu te souviens ? 2002,
l'arrivée de l'euro, Le Pen au second tour des élections… C'est déjà de
l'Histoire. Au printemps, j'avais trois amis, chantait Marie-Noël, la
bonne dame d'Auxerre. Le premier est fol devenu, le deuxième est mort
devenu, le troisième est vieux devenu, à quoi répondait en écho le
pauvre Rutebeuf, ce sont amis que vent emporte… À cette époque, il
n'était pas rare qu'un fil de framc comporte une centaine de
commentaires. Et attention ! il y avait du contenu, des idées ! des
contradictions ! des arguments ! On ne se contentait pas de balancer un
lien Youtube ! On retrouvera tout au long de cette interminable
contribution quelques allusions à Melmoth, Toulet, Gero, le psychiatre
(†), Tournier (†), Yves C., Nutella (c'était David le Marrec, ainsi
surnommé parce qu'il tartinait encore plus que moi), Redis-le-Moelleux,
(c'était Patachon, également dit la Patache mortelle, avec qui j'avais
eu quelques sanglantes engueulades), Papidécati, (c'était G. Préyale),
Sergent, Trop Polloli pour être au Net, mon collègue et néanmoins ami,
et les filles, La Fred, Papagena. Ceux qui sont fous devenus, ceux qui
sont morts devenus, ceux qui sont vieux devenus, ceux que le vent a
emporté. Ça s'appelait "Les invraisemblables aventures de Maelzel", et,
en relisant, c'était, après tout pas mal troussé.
"La neige colle aux carreaux, les bûches crépitent dans l'âtre,
réjouissez-vous, gens du forum. Paul & Mick Victor va vous narrer les
invraisemblables aventures de Maelzel. Approchez, mes enfants, faites
cercle, allez chercher les absents, installez vous bien à l'aise, les
plus petits devant, s'il te plaît Melmoth, cesse de te gratter les
khouilles, mon garçon, et laisse la place à papidécati, mais oui, il
est plus petit que toi, et il n'entend pas très bien, le pauvre. Tout
le monde est installé, ça y est ? La Fred et Papagena, soyez sympa, les
filles, vous aurez tout le temps après pour raconter vos histoires,
hein…
Adoncques, sur le tableau de bord de notre machine à remonter le temps,
réglons le transfusateur inductif à bobines tri-magnétiques sur la date
du 15 août 1772. Fermons les yeux un moment, ça secoue un peu, n'aie
pas peur, Nutella, ça ne sera pas long, d'ailleurs nous y voilà,
Ratisbonne, tout le monde descend ! Ratisbonne, vous ne connaissez
peut-être pas, c'est une charmante petite localité de Bavière, sur le
Danube, localité que les Allemands, ces khons, n'appellent pas
Ratisbonne, mais Regensburg, pour d'obscures raisons teutonnes sur
lesquelles il serait inutile de s'étendre. En ce 15 août 1772, le
soleil rayonne, il fait très chaud et toutes les fenêtres sont
ouvertes. Braquons notre objectif indiscret vers les fenêtres du 19
Müllerstrasse. Quelle curieuse agitation aujourd'hui chez les Maelzel !
On fait bouillir de l'eau, le vieux Tobias Nussbaumer, le médecin,
entre précipitamment dans l'immeuble, enfin des cris de nourrisson
viennent secouer la torpeur de ce début d'après-midi estival. Madame
Maelzel vient de mettre au monde un adorable bambin de 3,6 kilos.
Comment c'est-y qu'on va l'appeler, ce p'tiot ? demande l'heureuse
maman à son bonhomme de mari. T'as pô une idée, toi ? Monsieur Maelzel
père se gratte la tête, ben non, j'en ai pô… — J'en ai pô, j'en ai pô,
répète le vieux Tobias Nussbaumer, hilare, Jean-Népo… mucène !! Adjugé
vendu, il s'appellera Jean-Népomucène, ce qui avouez-le, est un nom
rigolo, mais bien difficile à porter.
Le petit Jean-Népomucène, qu'on appelle toujours par facétie Jean-Népo,
grandit donc, jours heureux de l'enfance, entre une mère aimante dont
le cœur est un réservoir infini de tendresse, et un papa qui cache sous
une apparente sévérité des trésors d'indulgence. Il est facteur, le
papa de Jean-Népo, non pas le facteur que vous connaissez, celui qui
vaillamment, chaque jour, au mépris de la pluie et du vent, affronte la
boue du chemin ou le soleil de plomb de nos étés qui ne sont plus ce
qu'ils étaient, pour vous apporter le catalogue de la Redoute (qui
c'est qu'a dit des 3 Suisses ?) ou la feuille d'impôt tant espérée,
non, il est facteur d'orgue. Qu'est-ce ça veut dire ? Ca veut dire,
Toulet, qu'il fabrique des orgues. C'est un bricoleur, le papa Maelzel,
et un bricoleur de génie. Rouages, ressorts, cames, leviers, pistons,
bielles, poulies, il est aussi à l'aise devant un engrenage compliqué
qu'un gynécologue devant un chancre mou, je t'expliquerai, Papagena.
Lorsqu'une machine tombe en rideau dans Ratisbonne, qui c'est qu'on va
chercher ? Le père Maelzel ! Quand l'horloge municipale dékhonne et
sonne midi à 14 heures, qui c'est qu'on va chercher ? Le père Maelzel !
Quand la batteuse-lieuse du vieil Hermann ne bat plus rien que la
breloque, qui c'est qu'on va chercher ? Le père Maelzel ! (qui est
d'ailleurs très prudent avec ces engins, vu qu'il s'est déjà fait
happer le bras par une batteuse-lieuse en 1762, et qu'on l'a surnommé
depuis par dérision, les gens sont méchants, l'happé de Ratisbonne…)
Musique et mécanique, tel est donc le credo du père Maelzel, qui offre
à son fils, outre des leçons de piano, un beau meccano, un vrai, avec
des pièces en métal bleues et jaunes bien rangées dans leur boîte, la
petite clé pour serrer les écrous, vous ne connaissez pas, les jeunes,
c'était autre chose que les Playmobil ou les Lego en plastoc qu'on fait
maintenant. Qu'est-ce que tu veux faire, plus tard ? qu'elle demande,
la maîtresse au petit Jean-Népo, qui répond invariablement : je serai
musimécanicien… Ca 'xiste pas, s'esclaffent ses petits khamarades. Et
ben, je serai le premier, dit l'entêté gamin en serrant ses petits
poings, et celui qu'est pas d'accord, jui pète la gueule à la récré…
Alors il récolte une punition, et il se trompe, l'innocent bambin.
C'est qu'il ne peut pas savoir que bien des années avant lui, le père
Athanase Kircher, jésuite génial et baroque, méritait déjà ce titre
merveilleux de musimécanicien. Mais ceci est une autre histoire que je
vous conterai un jour, si vous êtes sages…
Adoncques, le jeune Jean-Népo fait des progrès rapides, ben tiens,
quand on travaille sérieusement ses gammes et ses arpèges, hein, Yvecé
? Si bien qu'à 14 ans, il est considéré comme l'un des meilleurs
pianistes de Ratisbonne, et qu'il commence à donner des leçons, dont il
rapporte ponctuellement tout l'argent à sa maman, ne distrayant que
quelques piécettes pour s'acheter Système D, le Haut-Parleur, ou plus
rarement les Folies de Paris-Hollywood, ben quoi, t'as jamais été
travaillé par la puberté, toi ? Y'a pas que la partie mécanique, dans
la vie, y'a aussi la partie mec à nique, hein… Elle est excellente.
Mais l'appel des rouages est le plus fort. Il en rêve la nuit, quand
les engrenages dansent leur samba effrenée autour de son lit, il en
rêve le jour, et dans sa tête pistons et bielles pratiquent d'obscènes
copulations sous l'œil lubrique des ressorts à boudin et des écrous.
C'en est trop… En 1802, le 16 septembre, je m'en souviens comme si
c'était hier, il venait d'avoir 30 ans, comprenant que Ratisbonne,
c'était bien gentil, mais que pour un fondu de la mécanique, ça
manquait un peu d'avenir, il fait son baluchon, embrasse sa vieille
maman, son papa qui est en train de rafistoler un coucou de la Forêt
Noire, et il s'écrie : À nous deux, Paris !
Car avant d'aller se perfectionner dans son art à Londres, puis à
Vienne, c'est à Paris d'abord que Jean-Népo va chercher la gloire. On
ne voit que lui au rayon bricolage du BHV. Chez Castorama, on l'appelle
Monsieur Maelzel gros comme le bras, vu le pognon qu'il y laisse, ils
peuvent bien, hein, et les jours de Salon du Bricolage ou de Concours
Lépine, il est le premier à franchir le seuil et le dernier à quitter
les lieux. C'est à cette période qu'il s'attelle à la fabrication du
Panharmonikon, dont trop Polloli pour être honnête a rappelé que ça
n'avait pas de rapport avec les points Mekilékon. J'ai déjà parlé
longuement de ce mystérieux instrument, mais comme personne n'écoute,
hein ! C'est malheureux, mais on ne sait pas exactement à quoi
ressemblait ce bouzin. D'après les descriptions de l'époque, il
s'agissait d'une machine imposante composée de flûtes automatiques, de
clarinettes, de trompettes, de violons, violoncelles, tambours,
cymbales et triangle. Il pouvait également tirer des coups de
mousquets, pistolets, et canon. Il était paraît-il très puissant, mais
capable d'exécuter les nuances forte et piano avec une grande
précision. On peut penser que le Panharmonikon ressemblait à un
Limonaire. Il en existait un exemplaire au Landesgewerbemuseum (à tes
souhaits !) de Stuttgart jusqu'en 1942, date à laquelle ce musée fut
entièrement détruit lors d'un raid de l'Uhessairforce. C'est pour le
Panharmonikon, à la demande de Maelzel, que Beethoven entreprend de
composer la "Bataille de Vittoria" mais les deux hommes se fâchent et
le Grand Sourd, qui a de la suite dans les idées et de la rancune,
continue son œuvre, mais pour un orchestre symphonique cette fois…
Le Panharmonikon est présenté d'abord à Vienne, puis à Paris. Outre
Beethoven, Cherubini compose pour lui une pièce intitulée "Écho", mais
bon, Maelzel a besoin de pognon, il projette la construction d'un
nouveau modèle plus perfectionné, et vers la fin de 1807, il vend la
première version de son instrument pour la somme colossale à l'époque
de 60.000 francs. Il construit une deuxième prototype, qu'il emportera
bien plus tard aux États-Unis, et vendra à un riche américain pour
400.000 dollars. Mais revenons en cette fin d'année 1807. Après avoir
vendu son bouzin, Maelzel s'attache à la construction d'une nouvelle
machine, considérée comme son chef-d'oeuvre : le trompette automate. De
quoi s'agit-il ? demande Nutella dont les yeux brillent ! Et bien, père
la tartine, il s'agit ni plus ni moins que d'un joueur de trompette
mécanique, grand comme ça, avec soufflerie, percolateur coaxial et
réservoir à hélium concentré sous-jacent, taquet de dévérouillage
hélicoïdal, et tout et tout… Tu tournes la petite clé, tu mets les
piles, tu remplis de pétrole, t'allumes la mêche, et ça joue de la
trompette, avec une sonorité fabuleuse, et une virtuosité que même
Georges Jouvin avec sa trompette d'or, il pourrait pas faire mieux. La
vie d'un inventeur, parfois, c'est comme un conte de fée, on a bien
raison de le dire. La renommée de Jean Népo parvient vite aux oreilles
de l'empereur d'Autriche, rien que ça, qui le convoque dans son palais,
lui pince l'oreille, il a vu faire ça en France, et c'est ainsi que
l'enfant de Ratisbonne est élevé en 1808 au poste prestigieux de
Mécanicien en chef de la Cour, 1er échelon, avec clé à molette de
fonction, et décoré séance tenante de l'emblème de sa nouvelle dignité,
la pince-crocodile de vermeil sur fond de cambouis. Une nouvelle vie
commence.
Qu'est-ce qu'il y a, Redis-le-Moelleux ? tu ne comprends pas tout très
bien ? T'as envie d'aller faire pipi ? Bon, on va faire une petite
pause les enfants, le temps que j'ouvre une bière…
Ah, ça va mieux. Allez, on reprend. Installez-vous… Ben Gero, c'est à
cette heure-ci que tu arrives ? Tu faisais la sieste ? C'est dommage,
t'as raté le début. Tournier et Sergent, poussez un peu, dans le fond,
faites une tite place pour Gero. Allez Redis-le-Moelleux, dépêche-toi,
mon grand. Qu'est-ce qu'il y a ? T'arrives pas à te reboutonner ? Il me
tue, ce garçon !
Bon, où en étais-je ? Ah oui. Adoncques, Maezel est à la cour de
l'empereur d'Autriche, et c'est à cette époque, nous sommes en 1808,
qu'il commence à travailler sur le métronome. Alors là, je dis :
attention ! Pour bien des gens, le métronome c'est Maelzel, sans
réfléchir davantage, comme le cachou c'est Lajaunie, le camping c'est
Trigano ou les capotes anglaises, c'est Durex. Là, je répète :
attention, et je m'insurge. Prenez en main votre métronome, le vieux
j'entends, pas de ces machins électriques qu'on fait maintenant, la
belle pyramide en bois ciré avec la petite clé qui dépasse sur le côté.
Regardez-le bien ! Il a inventé quoi, Maelzel, là-dedans ? Il a inventé
la réglette graduée ousqu'il y a les chiffres et les indications de
tempo. Et c'est tout ! Tout le reste, c'est pas de lui. Et pourtant,
lorsqu'on dit "métronome", y'a toujours l'érudit de service pour citer
Maelzel, et la huitième symphonie du Grand Sourd, hommage au tic-tac de
la musicale mécanique. À ce propos, je ne suis pas toujours d'accord
avec trop Polloli pour être honnête sur les indications métronomiques
chez Beethoven, mais j'écris en ce moment un mémoire de 756 pages qui
sera publié en temps utile et apportera des révélations fracassantes
sur ce sujet…
L'idée d'un petit instrument qui servirait à battre la mesure et à
mesurer les temps n'est pas nouvelle à cette époque. Bien des années
auparavant, le grand Sauveur avait décrit dans les "Principes
d'acoustique" un tel appareil, conçu sur le modèle du pendule, et qu'il
avait appelé naïvement le Chronomètre. Ah, Sauveur ! Avec le père
Mersenne, avec Loulié, que ne lui doit-on pas ? Je vous parlerai un
jour de ses travaux sur les sons harmoniques, je vous raconterai
l'histoire de l'échomètre, que voilà un grand esprit, Sauveur ! Mais
revenons à nos moutons. Donc l'idée est dans l'air. Du chronomètre au
métromètre, les têtes pensantes se penchent sur le problème. En
Allemagne, un musicien du nom de Stoeckel a imaginé un appareil de ce
type, jamais réalisé parce que de dimensions colossales, mais dont il a
donné une description détaillée dans la Gazette Musicale de Leipzig,
pour ceux qui ont encore les vieux numéros, c'est à la page 673. On ne
sait pas grand chose de ce Stoeckel, sinon qu'il était cantor à Burg,
près de Magdebourg, et qu'il aimait par-dessus tout la crème caramel,
surtout quand elle était un peu brûlée. Toujours est-il que la Gazette
Musicale de Leipzig tombe un jour entre les mains de Jean-Népo, qui lit
l'article de Stoeckel avec une attention fiévreuse, et entreprend de
réaliser le bouzin décrit à la page 673.
Le problème du métromachin de Stoeckel, c'est qu'il est très gros, trop
gros, tu peux pas l'emporter avec toi en répète, il faut louer une
camionette… Et pourquoi qu'il est si gros, le bidule ? Simplement parce
que Stoeckel n'a pas su résoudre ce problème qui nous paraît
aujourd'hui si élémentairement enfantin : comment faire varier la
vitesse de battement sur une même mécanique ? Le métromachin battait
bien des vitesses différentes, mais pour chacune de ces vitesses, il
fallait une mécanique distincte, une pour lento, une pour adagio, une
pour andante, et t'essaieras, et t'essaieras… Tu vois d'ici l'engin. Et
Maelzel, pas plus que Stoeckel, ne trouve la soluce au problème. Il a
beau se creuser les méninges, rien, il est sec, Jean-Népo. Là, il est
tombé sur un os. Il y pense encore en 1812, lorsqu'il se rend en
Hollande pour faire un peu de lèche-vitrine. C'est là qu'il a l'idée
d'aller consulter son confrère en mécanique, le grand Winkel. Un petit
mot sur Winkel, mais rapide, pour ne pas lasser l'auditoire. Il se
prénommait Diedrich, ou Thierry-Nicolas, on n'est pas très fixé, et
avait commencé sa carrière en construisant des métiers à tisser, avant
de se lancer dans la facture d'orgues mécaniques, domaine dans lequel
il se fit vite remarquer pour la perfection de ses instruments. Winkel
reçoit fort poliment son concurrent, mais néanmoins ami, écoute
attentivement les données du problème, examine les plans et les
feuilles de calcul, et dit que bon, il va y réfléchir, et les deux
compères finissent la soirée en torchant une bouteille (certains disent
deux, d'autres trois) de genièvre dans un bar louche de Kalverstraate.
Maelzel rentre en Autriche avec une bonne gueule de bois, et oublie le
métromachin. Quelques années plus tard, nous sommes en 1815, il
retourne à Amsterdam pour présenter son Panharmonikon, rappelez-vous,
le nouveau modèle, et voilatipa que quelqu'un lui tape sur l'épaule,
c'était, vous l'avez deviné, Thierry-Nicolas Winkel. Salut, ça va, et
la petite famille, et tout ça, et tu te rappelles le problème que tu
m'avais soumis il y a trois ans, et ben ça y est, je crois que j'ai
trouvé ! Non ? Pas possible ? demande Jean-Népo, qui l'a complètement
oublié, et qui ne garde de son séjour dans la capitale batave que le
souvenir d'une cuite monumentale et d'une chaude-lance qui lui avait
fait pisser des lames de rasoir pendant trois mois au moins. Mais si,
qu'il insiste, Winkel, viens à la maison, je te montrerai. Assieds-toi,
prends un verre, un petit genièvre, ça nous rappellera le bon temps,
regarde, c'est enfantin, comme le dira dans quelques siècles P&MV : il
suffit d'une seule mécanique, avec un balancier, un seul, sur lequel on
ferait glisser un poids, de façon à déplacer le centre de gravité et à
imprimer des vitesses différentes au bidule. Ébloui par tant de géniale
simplicité, Maelzel se frappe le crâne violemment, mais bordel de
merde, mais oui, c'est bien sûr, quel khon, mais quel khon, mais que je
suis khon, c'est rien de le dire… Et Winkel de le consoler, mais non,
mais non, ça arrive à tout le monde, tiens, reprend un verre, mon gars,
et on ira voir les filles…
Maelzel revient à nouveau en Autriche, avec une gueule de bois qui vaut
largement la précédente, et là, soyons honnêtes, il se comporte comme
un salaud. Je n'aime pas dire du mal des gens, mais là, vraiment, comme
un salaud ! Ce pourri s'approprie la découverte de Winkel, remplace le
balancier par une réglette graduée, la seule partie du métronome qui
soit vraiment de lui, et présente l'objet fini à l'Institut de France,
qui donne son approbation dans la "Notice sur le métronome de Maelzel"
(Paris - 1816 - in-8 de 24 pages). Pire encore, poussé par l'appât du
gain, il crée à Paris une société commerciale pour fabriquer et
diffuser la géniale mécanique qui lui doit si peu. Il n'est pas exagéré
de dire qu'il se fait des khouilles en or. Winkel en est très attristé,
et quelque peu irrité, faut se mettre à sa place. Il fait paraître un
article cinglant dans la Revue Musicale de Leipzig, décidément la seule
revue qu'on semble lire à l'époque, (c'est dans le N° 25 pour ceux qui
ont gardé les archives) article où il explique que le monde est
méchant, et qu'il n'y a qu'un inventeur du métronome, et que c'est lui.
A l'occasion d'un déplacement de Maelzel en Hollande, Winkel demande
même à corzéacris l'arbitrage de l'Institut des Pays-Bas, qui examine
longuement le dossier, et convoque les deux compères. La vérité oblige
à dire que devant la commission, sommé de s'expliquer, Maelzel baisse
lamentablement son froc, reconnaît piteusement qu'il s'est comporté
comme un pignouf et un dégueulasse, mais que, hein, après tout, la
petite réglette graduée, c'est quand même bien de lui. L'affaire est
close.
L'affaire est close, mais la fortune souriant décidément aux salaud,
Maelzel continue d'empocher les bénéfices dégagés par la vente de son
métronome, dont il inonde l'Europe, et sans reverser un pélot à Winkel,
pas khon, Jean-Népo. Nous sommes à présent, petits amis, en 1817, et
Maelzel demeure à Vienne. C'est là qu'une nouvelle imposture va le
désigner à l'opinion publique : il s'agit du célèbre joueur d'échecs.
On a tout dit de ce joueur d'échec. Le grand Edgar Allan Poe lui-même
lui a consacré une nouvelle, dont vous lirez la traduction admirable de
Baudelaire. De quoi s'agissait-il ? D'une machine, d'un automate
capable de jouer aux échecs, et de gagner. À l'heure où Vladimir
Kramnik vient d'arracher le nul contre Deep Frizt et d'empocher 700.000
dollars, le sujet est d'actualité. Maurice Beaucaire, le sympathique
président de l'Union Échiquéenne de France, nous a donné une
description de cette étonnante mécanique : "L'automate était assis en
face d'un échiquier garni de toutes ses pièces. Il pouvait lever le
bras, saisir une pièce, et la plaçait sur la case où elle devait être
placée". Là encore, c'est bien à tort que le Joueur d'échecs est
attribué à Maelzel, qui s'est contenté de le racheter aux héritiers de
son véritable inventeur après le décès de celui-ci, j'ai nommé le baron
Wolfgang von Kempelen. Un mot sur ce baron, vous insistez vraiment ?
Souate ! Il était né à Presbourg en 1720, et accumulait les charges et
les titres prestigieux, puisqu'il était, entre autres, Conseiller de la
cour royale et impériale, Référendaire à la chancellerie de la cour
royale de Hongrie et Président de l'amicale bouliste des joyeux
cochonnets de la Haute-Vienne… C'était également un bidouilleur de
génie, à qui l'on doit la conception d'une machine parlante très
ingénieuse, décrite dans "Mechanismus der menschlichen Sprache, nabst
der Beschreibung einer sprechenden Maschine", publiée à Vienne en 1701,
avec 27 planches.
Le Joueur d'échecs avait été inventé dès 1770, mais c'est seulement au
début du XIXe siècle que Maelzel, le nouveau propriétaire, avec le sens
pratique et commercial que nous lui connaissons, lui apporte la
consécration. Allons, je peux bien vous le dire maintenant, c'est comme
au music-hall, dans le numéro du magicien, quand on met la bonne femme
dans la boîte et qu'on scie le cercueil, y'a un truc, une astuce à la
Robert Houdin. En fait, un vrai joueur d'échecs est caché dans le
coffrage de la machine, sous la table qui supporte l'échiquier, et
lorsqu'on ouvre ce coffrage pour montrer que non, y'a rien, un
astucieux système de miroirs dissimule le bonhomme. Ce joueur d'échecs
en chair et en os s'appelle M. Boncourt. Il a une qualité, il joue très
bien aux échecs, il a un défaut, il est très grand, il est trop grand,
si bien qu'il est obligé de se plier en quatre pour rentrer dans la
machine, et qu'il lui faut une bonne heure après la représentation pour
se déplier et retrouver l'aisance de ses mouvements, sans compter le
mal de dos.
Comme pour le métronome, Maelzel s'approprie sans vergogne la paternité
du Joueur d'échecs, ben dame, quand on a posé un pied sur la pente ô
combien savonneuse du crime, hein… Pire encore, il fauche une autre
invention de Kempelen, la machine parlante dont je vous ai déjà parlé,
et l'adapte dans le joueur d'échecs pour lui faire dire d'une petite
voix khonne : "Échec et mat"… Et dans la foulée, il dépose un brevet
pour une poupée parlante fonctionnant sur le même système de Kempelen
et qui dit : bonjour papa, bonsoir maman, la poupée, pas Kempelen. Faut
le faire, hein !
On pourrait écrire un livre sur les périgrinations du Joueur d'échecs.
Je ne manquerai pas de le faire dès que je serai à la retraite. Il est
présenté dans l'Europe entière, et rapporte des fortune à Jean-Népo
(fortunes qu'il gaspille d'ailleurs dans les bouges mal famés,
l'alcool, le strupre et la fornication, car il est aussi débauché que
malhonnête). L'automate dispute même une partie contre l'empereur
Frédéric à la cour de Berlin, partie que ledit Frédéric perd
d'ailleurs, ce qui incite le monarque à acquérir la machine. Elle reste
quelques années dans un placard, à prendre la poussière, jusqu'au jour
où Napoléon passant par là, ouvre le placard, récupère l'objet, lui
fait donner un petit coup de peinture et le ressuscite pour quelque
temps. Le prince Eugène, un grand gamin, ne résiste pas. Dès qu'il voit
le bidule, il tape du pied, trépigne, j'le veux, qu'il gueule, j'le
veux ! et il l'achete séance tenante 30.000 francs à Napoléon, qui
s'est bien gardé de lui expliquer qu'il y avait un truc et qui se marre
comme une baleine, quel khon, ce prince Eugène, qu'il dit à Joséphine,
le soir dans la couche impériale.
Le fait est que le prince Eugène s'est fait rouler, et dès qu'il s'en
aperçoit, il cherche à se débarrasser de la machine. Comme par hasard
Maelzel passe par là, mais hein, c'est de bonne guerre, c'est plus le
même tarif, et il récupère sa mécanique pour une bouchée de pain,
heureux de n'avoir pas réalisé une trop mauvais opération financière.
Comme M. Boncourt ne veut plus rentrer dans la boîte, faut se mettre à
sa place, à cet homme, il est remplacé par M. Alexandre, puis par M.
Mouret, et Maelzel reprend ses tournées en Europe, gagnant du pognon à
ne savoir qu'en faire, et le dépensant tout aussi vite avec des femmes
de mauvaise vie, des créatures qu'à côté desquelles les filles qui
fréquentent ce forum, malgré toutes leurs turpitudes, seraient
considérées comme des oies blanches. Pire encore, il paye ses joueurs
d'échecs au lance-pierre, le Jean-Népo, si bien que les malheureux,
déjà que passer des heures dans une boîte, c'est pas drôle, touchent
pour ça des clopinettes et se vengent bassement du patron en dévoilant
le truc à qui veut l'entendre. Très vite, ce mauvais procédé porte ses
fruits, et Maelzel est grillé. Le joueur d'échecs ? Y'a un truc, hé
patate ! Sans compter que ce panier percé accumule les dettes, et se
voit quotidiennement harcelé par une bande de créanciers féroces. Comme
bien d'autres, il se résout donc à l'exil, et, remplissant ses malles
d'automates, de son Panharmonikon, de son métronome, de son joueur
d'échecs, de son danseur de corde, et de bien d'autres trucs encore, il
passe en Amérique. Les douanes et les contrôles de police devaient être
moins sévères à l'époque. Aujourd'hui, avec un bric-à-brac pareil, il
ne pourrait jamais monter dans un avion, Jean-Népo. Je te dis pas le
portique de sécurité, comment qu'il se mettrait à couiner, hein…
Nous sommes à présent en 1827, le Grand Sourd s'éteint, et Maelzel
conquiert l'Amérique avec ses inventions. De New York à Philadelphie,
puis de Philadelphie à Boston où il s'installe, son succès est
considérable, ces yankees sont de grands enfants, ils se pressent pour
voir le Joueur d'échecs, le Panharmonikon, le danseur de corde, le
tompette automate. Il gagne des millions de dollar, Jean-Népo, et il
continue à produire des trucs pas possibles, tel cet automate à larynx
mécanique capable de monter et de descendre des gammes diatoniques et
chromatiques. Il perfectionne même le métronome, encore une fois à
partir de l'idée d'un autre. C'est en effet à Amiens que l'horloger
Bienaimé-Fournier a eu l'idée de fabriquer un métronome qui accentuait
certains battements, tous les deux, trois, ou quatre coups, de façon à
indiquer également les mesures. Maelzel adapte cette trouvaille,
intégre une petite sonnette qui marque ces coups accentués, et vend le
brevet à M. Wagner, horloger à Paris. C'est ce M. Wagner qui
construira, pendant des décennies, ces beaux métronomes qui sentaient
bon la cire et qui surmontaient si joliment les pianos des salons de
nos grands-mères.
Tout à une fin, petits amis. Un jour qu'il faisait un voyage vers
Philadelphie, Maelzel mourut, qui l'eût cru, pleurez mes yeux, c'était
au mois d'août 1838, il avait tout juste 66 ans. Le médecin appelé
essaya vainement de tourner la clé, de remonter le ressort, rien n'y
fit. La mécanique était cassée à jamais.
Et voilà qu'il est temps de nous séparer, petits amis. J'espère que mon
histoire vous a plu, et je vous souhaite une bonne nuit. Vous remettrez
les chaises en place en sortant, tiens, Redis-le-Moelleux s'est
endormi, c'est toujours comme ça quand il ne comprend pas très bien,
Melmoth, cesse de te gratter les khouilles, c'est agaçant à la fin, mon
garçon…"