Paul & Mick Victor
2023-09-29 23:32:46 UTC
[I. comme Interprétation] :
L’interprétation, ce mot-valise, a bon dos. Cache-misère, refuge du
sentimentalisme à bas prix, produit lustrant, on trouve derrière cette
appellation un fatras d’artifices dont le compositeur est la première
victime.
Chopin, à cet égard, en sait quelque chose, lui qui a consacré
l’essentiel de son œuvre au piano. Ayant pourtant défini une manière de
« chanter » sa musique en inventant le rubato, ses phrases immortelles
et universelles ont été la proie de quantité d’interprètes qui se sont
arrogé le droit d’étirer ses chants sublimes, de se servir de sa
musique comme d’un miroir et de se parer du costume d’interprète en
considérant son œuvre comme un faire-valoir.
Pendant des décennies, Chopin a été malmené, son âme transgressée, lui
dont les lignes courbes ne sont que pureté, sans la moindre surcharge
harmonique, d’une évidence telle que sa musique s’est imprégnée dans le
cœur et la mémoire de tant de pianistes de tout niveau et de tant
d’auditeurs de tout temps, il a pourtant subi les assauts de quelques
cadors sans scrupules qui n’ont eu de cesse que de s’approprier son art
en l’abîmant et en le meurtrissant. Il a fallu alors toute la noblesse
de grands pianistes, dont Arthur Rubinstein, pour lentement éradiquer
ces mauvaises manières et rendre à Chopin ce que nous lui devons tous :
le respect de son génie.
Preuve hélas que le danger est toujours tapi dans l’ombre : sous les
effets conjugués de la communication à outrance et d’un marketing qui
fait la loi, on voit resurgir toute sorte d’excès, de contorsion, de
disruption dans le traitement infligé à la musique. On dirait un sauve
qui peut ! Comme si certains décideurs, agents périphériques d’un art
qu’ils craignent de voir disparaître avec eux, inventaient des formules
désespérées avant de sombrer. La musique se conceptualise, on se
déboutonne pour elle (elle en rougit de honte, parfois), on se vend au
plus offrant par le biais de l’image et des réseaux sociaux. Le goût
musical change de nature : on y puise de quoi se valoriser.
Mais au nom de quoi peut-on se permettre de telles transgressions, de
tels sacrilèges ? Les notes et les indications de ces compositeurs
géniaux ne vous suffisent donc pas ?
Ah oui, j’oubliais, c’est pour plaire, pour vendre.
Jean-Philippe Collard : Chemins de musique. Alma Nuvis Éditions, 2020.
--
Paul & Mick Victor
Cador sans scrupule
L’interprétation, ce mot-valise, a bon dos. Cache-misère, refuge du
sentimentalisme à bas prix, produit lustrant, on trouve derrière cette
appellation un fatras d’artifices dont le compositeur est la première
victime.
Chopin, à cet égard, en sait quelque chose, lui qui a consacré
l’essentiel de son œuvre au piano. Ayant pourtant défini une manière de
« chanter » sa musique en inventant le rubato, ses phrases immortelles
et universelles ont été la proie de quantité d’interprètes qui se sont
arrogé le droit d’étirer ses chants sublimes, de se servir de sa
musique comme d’un miroir et de se parer du costume d’interprète en
considérant son œuvre comme un faire-valoir.
Pendant des décennies, Chopin a été malmené, son âme transgressée, lui
dont les lignes courbes ne sont que pureté, sans la moindre surcharge
harmonique, d’une évidence telle que sa musique s’est imprégnée dans le
cœur et la mémoire de tant de pianistes de tout niveau et de tant
d’auditeurs de tout temps, il a pourtant subi les assauts de quelques
cadors sans scrupules qui n’ont eu de cesse que de s’approprier son art
en l’abîmant et en le meurtrissant. Il a fallu alors toute la noblesse
de grands pianistes, dont Arthur Rubinstein, pour lentement éradiquer
ces mauvaises manières et rendre à Chopin ce que nous lui devons tous :
le respect de son génie.
Preuve hélas que le danger est toujours tapi dans l’ombre : sous les
effets conjugués de la communication à outrance et d’un marketing qui
fait la loi, on voit resurgir toute sorte d’excès, de contorsion, de
disruption dans le traitement infligé à la musique. On dirait un sauve
qui peut ! Comme si certains décideurs, agents périphériques d’un art
qu’ils craignent de voir disparaître avec eux, inventaient des formules
désespérées avant de sombrer. La musique se conceptualise, on se
déboutonne pour elle (elle en rougit de honte, parfois), on se vend au
plus offrant par le biais de l’image et des réseaux sociaux. Le goût
musical change de nature : on y puise de quoi se valoriser.
Mais au nom de quoi peut-on se permettre de telles transgressions, de
tels sacrilèges ? Les notes et les indications de ces compositeurs
géniaux ne vous suffisent donc pas ?
Ah oui, j’oubliais, c’est pour plaire, pour vendre.
Jean-Philippe Collard : Chemins de musique. Alma Nuvis Éditions, 2020.
--
Paul & Mick Victor
Cador sans scrupule