Paul & Mick Victor
2023-10-07 04:55:10 UTC
"Il faut en tout dialogue et discours qu'on puisse dire à ceux qui s'en
offensent : de quoi vous plaignez-vous ?" écrivait Pascal (Blaise). Ces
sages propos justifient les avertissements qui suivent :
- Cette contribution est assez longue. À éviter, donc, si l'on
n'apprécie que les textes courts.
- Elle comporte certainement quelques fautes d'orthographe, d'accord,
de conjugaison, de syntaxe. On évitera de les relever, et l'on
s'efforcera d'intervenir sur le fond plutôt que sur la forme, afin
d'enrichir le propos par des avis constructifs et des informations
utiles.
- J'ai cru pertinent d'annoter le texte, certains points méritant
d'être commentés et approfondis. Ces notes n'apprendront évidemment
rien à ceux qui maîtrisent le sujet, et leur paraîtront même
simplistes, mais elles pourront peut-être se révéler utiles pour ceux
qui l'ignorent.
Ces avertissements énoncés, commençons donc.
[E. comme Enharmonie] :
Maître Effarane prit la parole, et, de sa voix perçante, il dit :
« Ce sont là les enfants de la maîtrise ?
— Ils n'en font pas tous partie, répondit M. Valrügis.
— Combien ?
— Seize.
— Garçons et filles ?
— Oui, dit le curé, garçons et filles, et, comme à cet âge ils ont la
même voix…
— Erreur, répliqua vivement maître Effarane, et l'oreille d'un
connaisseur ne s'y tromperait pas. »
Si nous fûmes étonnés de cette réponse ? Précisément, la voix de Betty
et la mienne avaient un timbre si semblable, qu'on ne pouvait
distinguer entre elle et moi, lorsque nous parlions ; plus tard, il
devait en être différemment, car la mue modifie inégalement le timbre
des adultes des deux sexes.
Dans tous les cas, il n’y avait pas à discuter avec un personnage tel
que maître Effarane, et chacun se le tint pour dit.
« Faites avancer les enfants de la maîtrise », demanda-t-il en levant
son bras comme un bâton de chef d'orchestre.
Huit garçons, dont j'étais, huit filles, dont était Betty, vinrent se
placer sur deux rangs, face à face. Et alors, maître Effarane de nous
examiner avec plus de soin que nous ne l'avions jamais été du temps
d'Églisak. Il fallut ouvrir la bouche, tirer la langue, aspirer et
expirer longuement, lui montrer jusqu'au fond de la gorge les cordes
vocales qu'il semblait vouloir pincer avec ses doigts. J'ai cru qu'il
allait nous accorder comme des violons ou des violoncelles. Ma foi,
nous n'étions rassurés ni les uns ni les autres.
M. le curé, M. Valrügis et sa vieille sœur étaient là, interloqués,
n'osant prononcer une parole.
« Attention ! cria maître Effarane. La gamme d'ut majeur en solfiant.
Voici le diapason. »
Le diapason ? Je m'attendais à ce qu'il tirât de sa poche une petite
pièce à deux branches, semblable à celle du bonhomme Églisak et dont
les vibrations donnent le La officiel, à Kalfermatt comme ailleurs.
Ce fut bien un autre étonnement.
Maître Effarane venait de baisser la tête, et, de son pouce à demi
fermé, il se frappa d'un coup sec la base du crâne.
Ô surprise ! sa vertèbre supérieure rendit un son métallique, et ce son
était précisément le la, avec ces huit cent soixante-dix vibrations
normales (1).
Maître Effarane avait en lui le diapason naturel. Et alors, nous
donnant l'ut une tierce mineure au-dessus (2), tandis que son index
tremblotait au bout de son bras :
« Attention ! répéta-t-il. Une mesure pour rien ! »
Et nous voici, solfiant la gamme d'ut ascendante d'abord, descendante
ensuite.
« Mauvais…, mauvais…, s'écria maître Effarane, lorsque la dernière note
se fut éteinte. J'entends seize voix différentes et je devrais n'en
entendre qu'une. »
Mon avis est qu'il se montrait trop difficile, car nous avions
l'habitude de chanter ensemble avec grande justesse, ce qui nous avait
toujours valu force compliments.
Maître Effarane secouait la tête, lançait à droite et à gauche des
regards de mécontentement. Il me semblait que ses oreilles, douées
d'une certaine mobilité, se tendaient comme celles des chiens, des
chats et autres quadrupèdes.
« Reprenons ! s'écria-t-il. L'un après l'autre maintenant. Chacun de
vous doit avoir une note personnelle, une note physiologique, pour
ainsi dire, et la seule qu'il devrait jamais donner dans un ensemble. »
Une seule note — physiologique ! Qu'est-ce que ce mot signifiait ? Eh
bien, j'aurais voulu savoir quelle était la sienne, à cet original, et
aussi celle de M. le curé, qui en possédait une jolie collection,
pourtant, et toutes plus fausses les unes que les autres !
On commença, non sans de vives appréhensions — le terrible homme
n'allait-il pas nous malmener ? — et non sans quelque curiosité de
savoir quelle était notre note personnelle, celle que nous aurions à
cultiver dans notre gosier comme une plante dans son pot de fleur.
Ce fut Hoct qui débuta, et, après qu'il eut essayé les diverses notes
de la gamme, le sol lui fut reconnu physiologique par maître Effarane,
comme étant sa note la plus juste, la plus vibrante de celles que son
larynx pouvait émettre.
Après Hoct, ce fut le tour de Farina, qui se vit condamné au la naturel
à perpétuité.
Puis mes autres camarades suivirent ce minutieux examen, et leur note
favorite reçut l'estampille officielle de maître Effarane.
Je m'avançai alors.
« Ah ! c'est toi, petit ! » dit l'organiste.
Et me prenant la tête, il la tournait et la retournait à me faire
craindre qu'il ne finît par la dévisser.
« Voyons ta note », reprit-il.
Je fis la gamme d'ut à ut en montant puis en descendant. Maître
Effarane ne parut point satisfait. Il m'ordonna de recommencer… Ça
n'allait pas… Ça n'allait pas. J'étais très mortifié. Moi, l'un des
meilleurs de la manécanterie, est-ce que je serais dépourvu d'une note
individuelle ?
« Allons ! s'écria maître Effarane, la gamme chromatique !… Peut-être y
découvrirai-je ta note. »
Et ma voix, procédant par intervalles de demi-tons, monta l'octave.
« Bien… bien ! fit l'organiste, je tiens ta note, et toi, tiens-la
pendant toute la mesure !
— Et c'est ? demandai-je un peu tremblant.
— C'est le ré dièze (3). »
Et je filai sur ce ré dièze d'une seule haleine.
M. le curé et M. Valrügis ne dédaignèrent pas de faire un signe de
satisfaction.
« Au tour des filles ! » commanda maître Effarane.
Et moi je pensai :
« Si Betty pouvait avoir aussi le ré dièze. » Ça ne m'étonnerait pas,
puisque nos deux voix se marient si bien ! Les fillettes furent
examinées l'une après l'autre. Celle-ci eut le si naturel celle-là
le mi naturel. Quand ce fut à Betty Clère de chanter, elle vint se
placer debout, très intimidée devant maître Effarane.
« Va, petite. »
Et elle alla de sa voix si douce, si agréablement timbrée qu'on eût dit
un chant de chardonneret. Mais, voilà, ce fut de Betty comme de son ami
Joseph Müller. Il fallut recourir à la gamme chromatique pour lui
trouver sa note, et finalement le mi bémol finit par lui être attribué.
Je fus d'abord chagriné, mais en y réfléchissant bien je n'eus qu'à
m'applaudir. Betty avait le mi bémol et moi le ré dièze. Eh bien,
est-ce que ce n'est pas identique ?… Et je me mis à battre des mains.
« Qu'est-ce qui te prend, petit ? me demanda l'organiste, qui fronçait
les sourcils.
— Il me prend beaucoup de joie, monsieur, osai-je répondre, parce que
Betty et moi nous avons la même note…
— La même ? » s'écria maître Effarane.
Et il se redressa d'un mouvement si allongé que son bras toucha le
plafond.
« La même note ! reprit-il. Ah ! tu crois qu'un ré dièze et un mi
bémol c'est la même chose (4), ignare que tu es, oreilles d'âne que tu
mérites ! Est-ce que c'est votre Églisak qui vous apprenait de telles
stupidités ? Et vous souffriez cela, curé ?… Et vous aussi, magister…
Et vous de même, vieille demoiselle ? »
La sœur de M. Valrügis cherchait un encrier pour le lui jeter à la
tête. Mais il continuait en s'abandonnant à tout l'éclat de sa colère.
« Petit malheureux, tu ne sais donc pas ce que c'est qu'un comma, ce
huitième de ton (5) qui différencie le ré dièze du mi bémol, le la
dièze du si bémol, et autres ? Ah ça ! est-ce que personne ici n'est
capable d'apprécier des huitièmes de ton ? Est-ce qu'il n'y a que des
tympans parcheminés, durcis, racornis, crevés dans les oreilles de
Kalfermatt ? (6) »
On n'osait pas bouger. Les vitres des fenêtres grelottaient sous la
voie aiguë de maître Effarane. J'étais désolé d'avoir provoqué cette
scène, tout triste qu'entre la voix de Betty et la mienne il y eût
cette différence, ne fût-elle que d'un huitième de ton. M. le curé me
faisait de gros yeux, M. Valrügis me lançait des regards...
Mais l'organiste de se calmer soudain, et de dire :
« Attention ! Et chacun à son rang dans la gamme ! »
Nous comprîmes ce que cela signifiait, et chacun alla se placer suivant
sa note personnelle, Betty à la quatrième place en sa qualité de mi
bémol, et moi après elle, immédiatement après elle, en qualité de ré
dièze. Autant dire que nous figurions une flûte de Pan, ou mieux les
tuyaux d'un orgue avec la seule note que chacun d'eux peut donner.
« La gamme chromatique, s'écria maître Effarane, et juste. Ou sinon !…
»
On ne se le fit pas dire deux fois. Notre camarade chargé de
l'ut commença ; cela suivit ; Betty donna son mi bémol puis moi mon ré
dièze, dont les oreilles de l'organiste, paraît-il, appréciaient la
différence. Après être monté, on redescendit trois fois de suite.
Maître Effarane parut même assez satisfait.
« Bien, les enfants ! dit-il. J'arriverai à faire de vous un clavier
vivant ! »
Et, comme M. le curé hochait la tête d'un air peu convaincu :
« Pourquoi pas ? répondit maître Effarane. On a bien fabriqué un piano
avec des chats, des chats choisis pour le miaulement qu'ils poussaient
quand on leur pinçait la queue ! » (7) « Un piano de chats, un piano de
chats ! » répéta-t-il.
Nous nous mîmes à rire, sans trop savoir si maître Effarane parlait ou
non sérieusement. Mais, plus tard, j'appris qu'il avait dit vrai en
parlant de ce piano de chats qui miaulaient lorsque leur queue était
pincée par un mécanisme ! Seigneur Dieu ! Qu'est-ce que les humains
n'inventeront pas !
Alors, prenant sa toque, maître Effarane salua, tourna sur ses talons
et sortit en disant :
« N'oubliez pas votre note, surtout toi, monsieur Ré-Dièze, et toi
aussi, mademoiselle Mi-Bémol ! »
Et le surnom nous en est resté.
Jules Verne : Monsieur Ré-Dièze et Mademoiselle Mi-Bémol. Le Figaro
illustré N° 45, décembre 1893, pp. 221 à 228.
Notes :
1) 870 vibrations, cela donne un "la3" à 435 Hertz, ce qui était
effectivement la norme à cette époque, officialisée par la conférence
de Vienne en 1885. Ce n'est qu'en 1953 que la conférence de Londres
définira le "la3" officiel à 440 Hz à 20°.
ATTENTION : deux confusions à éviter :
a) Lorsque Ré-dièze constate que la vertèbre de Maître Effarane vibre à
870 vibrations "normales", il parle de "vibrations simples". Observons,
en effet, une corde, de guitare (ou de harpe, ou une corde à linge bien
tendue, ça marche aussi). Lorsqu'elle ne vibre pas, elle est immobile à
son point d'équilibre. Dès qu'on la fait vibrer, elle se déplace d'un
côté du point d'équilibre, y revient, puis de l'autre côté, et y
revient. La vibration simple est seulement la portion de mouvement que
fait la corde pour se déplacer d'un côté du point d'équilibre et y
revenir. Les Hertz prennent en considération le cycle complet, c'est à
dire le mouvement "point d'équilibre, déplacement sur un côté, retour
au point d'équilibre, déplacement sur l'autre côté, retour au point
d'équilibre". On peut alors parler de vibrations doubles. Le calcul des
vibrations simples a été rendu possible par le tonomètre de Scheibler,
on devrait dire de Koenig, car si Scheibler en a eu l'idée, c'est
Koenig qui l'a réalisé.
https://portail.polytechnique.edu/musx/fr/tonometre
Donc, c'est un calcul élémentaire, un Hertz est égal à deux vibrations
simples, deux allers-retours, qui forment un cycle. Le diapason moderne
vibre à 440 cycles par secondes, c'est-à-dire à 880 vibrations simples
(je préfère *cycles* à *périodes*, car les physiciens appellent parfois
"périodes" les "vibrations simples").
b) Dans les pays latins, en tout cas en France, le "la" de référence
est appelé "la3". C'est le premier "la" qui se trouve à droite du do
central du piano, celui qu'on appelait le "do de la serrure" lorsque
les pianos avaient encore des serrures pour verrouiller le couvercle du
clavier. Mais dans le système anglo-saxon ce "la" est appelé "A4",
c'est-à-dire "la4", car ces pignoufs ignorant Guy d'Arezzo, Ut queant
laxis, Resonare fibris, etc. utilisent des lettres pour nommer les
notes. Cela, évidemment, prête à confusion. Chez les Allemands, on
parle de A 440, ce qui est plus simple.
2) Un petit truc pour trouver facilement le "do" à partir du "la" du
diapason. Chantez, en prenant le "la" comme note de départ : "Il était
un petit navire". Arrêtez-vous à "un", pas la peine d'aller plus loin.
Le "un", c'est le do (la la la do). C'est évidemment plus facile de
trouver la tierce mineure supérieure que la sixte majeure descendante,
mais si vous avez quand même du mal, chantez le début de la célèbre
berceuse de Brahms (Wiegenlied op. 49/4), toujours à partir du "la" du
diapason : la la do, la la do, vous l'avez deux fois.
3) On écrit plutôt "dièse" aujourd'hui, mais l'orthographe "dièze" a
été utilisée par de très nombreux auteurs (Proust, Flaubert, Gide,
Céline, Maurois, etc.)
4) Ici est soulevé un point capital qui, pendant des siècles, a
conditionné, bouleversé et finalement permis à la musique occidentale
de prendre son essor. On trouvera sur Internet des milliers et des
milliers de pages plus ou moins érudites consacrées à ce drame absolu
qu'on peut ainsi résumer : 12 quintes justes ne s'ajustent pas
exactement dans 7 octaves. Énoncé comme ça, ça a l'air anodin, mais
c'est cataclysmique. Les octaves ont un rapport de 2 entre elles ("la4"
880 Hz est l'octave supérieure de "la3" 440 Hz, lui-même octave
supérieure de "la2", 220 Hz, etc., et ça marche dans les deux sens,
"la5" sera à 1760 Hz.
Les quintes, elles, sont calculées depuis Pythagore par le rapport 3/2,
donc 1,5. Ainsi, la quinte du la 440 (le "mi") sera de 440*1,5 = 660
Hz. La quinte du mi 660 Hz (le "si") sera de 660*1,5 = 990 Hz, etc. De
quinte en quinte, chacune étant calculée à partir de la précédente, on
obtient une suite de 12 quintes (on s'arrête à 12, parce qu'on
considère que le son de la dernière quinte, "si#", est identique à la
première note de la première quinte, "do", 7 octoves plus bas, mais on
pourrait continuer la série à l'infini, avec des doubles dièses, puis
des triples dièses, etc.). Ces 12 quintes sont : do-sol, sol-ré, ré-la,
la-mi , mi-si, si-fa#, fa#-do# do#-sol#, sol#-ré#, ré#-la#, la#-mi#,
mi#-si#. On appelle cela le cycle des quintes et on le représente
généralement sous forme de cercle (j'aurais dû commencer par "fa"
plutôt que par "do", mais c'est pour simplifier). Ramenées à une même
octave, les sons de ces douze quintes constituent les 12 notes de la
gamme dite chromatique, les onze touches d'un piano, blanches et
noires, comprises entre deux "do" qui se suivent. Sauf que… Catastrophe
! La dernière de la série, "si#" est très proche de la note "do",
tellement proche qu'on n'a pas hésité à les confondre (on appelle cela
une "enharmonie", deux notes de nom différent qui produisent le même
son, comme sol# et lab, par exemple). Mais voilà, elles n'ont pas,
naturellement, tout à fait le même son. Ces douze quintes, qui se
déroulent avec des rapports de 3/2 sur "à peu près" 7 octaves, ne
correspondent pas exactement aux 7 octaves qui ont entre elles un
rapport de 2. La preuve : 2^7 = 128. 1,5^12 = 129,746337890625. Cette
minuscule différence, ce 1,74633 etc. (minuscule en taille, mais énorme
en conséquences), s'appelle le comma pythagoricien. Pour résoudre ce
problème en apparence insoluble, on a imaginé des tas de solutions, qui
consistaient à bidouiller les hauteurs des notes de la gamme pour
raboter, gommer ce comma inopportun, le diluer dans la masse. On
appelle cela le "tempérament". Si Bach voulait qu'on joue ses préludes
et ses fugues sur un clavier "bien tempéré", c'est parce que sur un
clavier non tempéré, cela aurait sonné faux. Comme paraissent sonner
faux des instruments non tempérés comme, par exemple, le cor de chasse
:
En fait, ce sont eux qui sonnent "juste", c'est-à-dire "naturellement",
selon les lois de la physique. La musique telle que nous la pratiquons,
mes gueux, est un système artificiel, j'ai envie de dire culturel, et,
au sens large, idéologique.
Les théoriciens ont imaginé des tas de tempéraments différents,
Zarlino, Werckmeister, Vallotti, Kirnberger, Rameau, etc. Et même
Bach. Certains musicologues ont avancé l'idée que la frise qui
surmontait l'édition originale du Clavier bien tempéré était en réalité
un codage indiquant le tempérament souhaité par le Cantor :
https://www.clavecin-en-france.org/spip.php?article52
L'Occident, pragmatique, a finalement adopté le "tempérament égal",
c'est-à-dire qu'on a abandonné le principe des rapports mathématiques
des quintes, et on a divisé l'octave en douze intervalles
rigoureusement égaux. C'est le tempérament qui permet l'empilement de
sons, l'harmonie, les cathédrales sonores, les accords, la verticalité.
Les civilisations qui utilisent des instruments non tempérés ne
connaissent pas l'harmonie. Leur musique reste horizontale.
Un ancien intervenant sur framc, DGW (Didier Giraud de Willot, je
crois) avait réalisé un superbe site Internet qui traitait de manière
très érudite des problèmes du tempérament et de l'accord des
instruments de musique. Cette mine d'informations s'appelait
"organ-au-logie.org", malheureusement, elle semble avoir disparu du
Ouaibe. Si quelqu'un a des informations sur le site ou sur son auteur,
je suis preneur.
5) On considère aujourd'hui que le comma représente un 1/9 de tons. En
fait, il est quelque part entre le 8ème et le 9ème, plutôt vers 8,5.
6) Le musicologue et pédagogue belge (mais Suisse de cœur) Edgar
Willems (1890-1978) a mis au point une méthode d'enseignement musical
dans laquelle il prône l'éducation de l'oreille, au moyen notamment
d'un "carillon intratonal". Il s'agit d'une sorte de petit xylophone
comportant des lames accordées au 9ème de ton, voire au 18ème de ton.
C'est-à-dire qu'entre un do et un ré, il y a 8 ou 17 lames
intermédiaires. Le jeu consiste à les placer dans l'ordre. Évidemment,
contrairement aux carillons normaux, les lames sont toutes
rigoureusement de la même longueur, on ne peut pas s'appuyer sur leur
taille, seule l'oreille permet de les différencier. Si les commas
s'entendent assez bien, avec un peu de concentration et d'entraînement,
c'est beaucoup plus difficile avec des 18ème de ton.
https://www.leseditionspromusica.com/boutique/carillon-intratonal/
7) Ad Musicam avait posté il y peu un lien vers une gravure
représentant cette horreur. Je le redonne ici :
https://tinyurl.com/murzaxep
L'existence de cet instrument est attestée par Juan Cristoval Calvete
de Estrella, un noble espagnol auteur du "très-heureux voyage fait par
très-haut et très-puissant prince Don Philippe, fils du grand empereur
Charles-Quint, depuis l'Espagne jusqu'à ses domaines de la
Basse-Allemagne, avec la description de tous les États de Brabant & de
Flandre". L'instrument, s'il faut en croire ce témoin, fut construit à
l'occasion de l'Ommegang de Bruxelles (une procession religieuse
remontant à 1348 et toujours organisée de nos jours) du 2 juin 1549. Je
cite le texte, dont je n'ai pu trouver l'original, je me contente de la
transcription présentée dans "Bruxelles à travers les âges" de Louis
Hymans, Bruxelles, Bruylant-Christophe et Cie, s.d., p. 182 : "On vit
ensuite s'avancer une musique de façon et d'invention bien étranges. Un
jeune garçon travesti en ours était assis sur un char où il touchait de
l'orgue. Dans le corps de cet instrument on avait remplacé les tuyaux
par des chats vivants, dont les queues réunies en l'air correspondaient
aux touches du clavier, de façon que l'ours, en appuyant sur celles-ci,
tirait les queues des chats dans une certaine mesure proportionnée à
l'effet qu'on voulait obtenir plus ou moins fort; les animaux se
sentant tirés par la queue, poussaient des miaulements en rapport avec
la douleur qu'ils éprouvaient, et de ces cris graves ou aigus il
résultait des accords qui ne manquaient pas de justesse, ni surtout
d'originalité et d'étrangeté."
C'est évidemment une monstruosité, une infâmie sans nom. Pour nous, qui
partageons notre maison, toujours ouverte à tous les vents, avec au
moins une dizaine de chats, Miss, mon amoureuse, Dao, Duan, Roudoudou,
Laï, Caramel, Tartinette, Nam Pueng, La Chouineuse, Mère Courage, etc.
l'idée qu'on puisse seulement frapper un chat nous est absolument
odieuse. Et quand parfois l'un s'en va, soif d'aventure, caprice ou
histoire d'amour, c'est rongés par l'inquiétude que nous espérons son
retour. Ceci dit, entre la bouffe et le vétérinaire, ça finit par
coûter assez cher, ces bestioles. C'est que ça bouffe, un greffier !
Alors 10, sans compter les copains, c'est un budget !
--
Paul & Mick Victor
Quand on aime, on ne compte pas
offensent : de quoi vous plaignez-vous ?" écrivait Pascal (Blaise). Ces
sages propos justifient les avertissements qui suivent :
- Cette contribution est assez longue. À éviter, donc, si l'on
n'apprécie que les textes courts.
- Elle comporte certainement quelques fautes d'orthographe, d'accord,
de conjugaison, de syntaxe. On évitera de les relever, et l'on
s'efforcera d'intervenir sur le fond plutôt que sur la forme, afin
d'enrichir le propos par des avis constructifs et des informations
utiles.
- J'ai cru pertinent d'annoter le texte, certains points méritant
d'être commentés et approfondis. Ces notes n'apprendront évidemment
rien à ceux qui maîtrisent le sujet, et leur paraîtront même
simplistes, mais elles pourront peut-être se révéler utiles pour ceux
qui l'ignorent.
Ces avertissements énoncés, commençons donc.
[E. comme Enharmonie] :
Maître Effarane prit la parole, et, de sa voix perçante, il dit :
« Ce sont là les enfants de la maîtrise ?
— Ils n'en font pas tous partie, répondit M. Valrügis.
— Combien ?
— Seize.
— Garçons et filles ?
— Oui, dit le curé, garçons et filles, et, comme à cet âge ils ont la
même voix…
— Erreur, répliqua vivement maître Effarane, et l'oreille d'un
connaisseur ne s'y tromperait pas. »
Si nous fûmes étonnés de cette réponse ? Précisément, la voix de Betty
et la mienne avaient un timbre si semblable, qu'on ne pouvait
distinguer entre elle et moi, lorsque nous parlions ; plus tard, il
devait en être différemment, car la mue modifie inégalement le timbre
des adultes des deux sexes.
Dans tous les cas, il n’y avait pas à discuter avec un personnage tel
que maître Effarane, et chacun se le tint pour dit.
« Faites avancer les enfants de la maîtrise », demanda-t-il en levant
son bras comme un bâton de chef d'orchestre.
Huit garçons, dont j'étais, huit filles, dont était Betty, vinrent se
placer sur deux rangs, face à face. Et alors, maître Effarane de nous
examiner avec plus de soin que nous ne l'avions jamais été du temps
d'Églisak. Il fallut ouvrir la bouche, tirer la langue, aspirer et
expirer longuement, lui montrer jusqu'au fond de la gorge les cordes
vocales qu'il semblait vouloir pincer avec ses doigts. J'ai cru qu'il
allait nous accorder comme des violons ou des violoncelles. Ma foi,
nous n'étions rassurés ni les uns ni les autres.
M. le curé, M. Valrügis et sa vieille sœur étaient là, interloqués,
n'osant prononcer une parole.
« Attention ! cria maître Effarane. La gamme d'ut majeur en solfiant.
Voici le diapason. »
Le diapason ? Je m'attendais à ce qu'il tirât de sa poche une petite
pièce à deux branches, semblable à celle du bonhomme Églisak et dont
les vibrations donnent le La officiel, à Kalfermatt comme ailleurs.
Ce fut bien un autre étonnement.
Maître Effarane venait de baisser la tête, et, de son pouce à demi
fermé, il se frappa d'un coup sec la base du crâne.
Ô surprise ! sa vertèbre supérieure rendit un son métallique, et ce son
était précisément le la, avec ces huit cent soixante-dix vibrations
normales (1).
Maître Effarane avait en lui le diapason naturel. Et alors, nous
donnant l'ut une tierce mineure au-dessus (2), tandis que son index
tremblotait au bout de son bras :
« Attention ! répéta-t-il. Une mesure pour rien ! »
Et nous voici, solfiant la gamme d'ut ascendante d'abord, descendante
ensuite.
« Mauvais…, mauvais…, s'écria maître Effarane, lorsque la dernière note
se fut éteinte. J'entends seize voix différentes et je devrais n'en
entendre qu'une. »
Mon avis est qu'il se montrait trop difficile, car nous avions
l'habitude de chanter ensemble avec grande justesse, ce qui nous avait
toujours valu force compliments.
Maître Effarane secouait la tête, lançait à droite et à gauche des
regards de mécontentement. Il me semblait que ses oreilles, douées
d'une certaine mobilité, se tendaient comme celles des chiens, des
chats et autres quadrupèdes.
« Reprenons ! s'écria-t-il. L'un après l'autre maintenant. Chacun de
vous doit avoir une note personnelle, une note physiologique, pour
ainsi dire, et la seule qu'il devrait jamais donner dans un ensemble. »
Une seule note — physiologique ! Qu'est-ce que ce mot signifiait ? Eh
bien, j'aurais voulu savoir quelle était la sienne, à cet original, et
aussi celle de M. le curé, qui en possédait une jolie collection,
pourtant, et toutes plus fausses les unes que les autres !
On commença, non sans de vives appréhensions — le terrible homme
n'allait-il pas nous malmener ? — et non sans quelque curiosité de
savoir quelle était notre note personnelle, celle que nous aurions à
cultiver dans notre gosier comme une plante dans son pot de fleur.
Ce fut Hoct qui débuta, et, après qu'il eut essayé les diverses notes
de la gamme, le sol lui fut reconnu physiologique par maître Effarane,
comme étant sa note la plus juste, la plus vibrante de celles que son
larynx pouvait émettre.
Après Hoct, ce fut le tour de Farina, qui se vit condamné au la naturel
à perpétuité.
Puis mes autres camarades suivirent ce minutieux examen, et leur note
favorite reçut l'estampille officielle de maître Effarane.
Je m'avançai alors.
« Ah ! c'est toi, petit ! » dit l'organiste.
Et me prenant la tête, il la tournait et la retournait à me faire
craindre qu'il ne finît par la dévisser.
« Voyons ta note », reprit-il.
Je fis la gamme d'ut à ut en montant puis en descendant. Maître
Effarane ne parut point satisfait. Il m'ordonna de recommencer… Ça
n'allait pas… Ça n'allait pas. J'étais très mortifié. Moi, l'un des
meilleurs de la manécanterie, est-ce que je serais dépourvu d'une note
individuelle ?
« Allons ! s'écria maître Effarane, la gamme chromatique !… Peut-être y
découvrirai-je ta note. »
Et ma voix, procédant par intervalles de demi-tons, monta l'octave.
« Bien… bien ! fit l'organiste, je tiens ta note, et toi, tiens-la
pendant toute la mesure !
— Et c'est ? demandai-je un peu tremblant.
— C'est le ré dièze (3). »
Et je filai sur ce ré dièze d'une seule haleine.
M. le curé et M. Valrügis ne dédaignèrent pas de faire un signe de
satisfaction.
« Au tour des filles ! » commanda maître Effarane.
Et moi je pensai :
« Si Betty pouvait avoir aussi le ré dièze. » Ça ne m'étonnerait pas,
puisque nos deux voix se marient si bien ! Les fillettes furent
examinées l'une après l'autre. Celle-ci eut le si naturel celle-là
le mi naturel. Quand ce fut à Betty Clère de chanter, elle vint se
placer debout, très intimidée devant maître Effarane.
« Va, petite. »
Et elle alla de sa voix si douce, si agréablement timbrée qu'on eût dit
un chant de chardonneret. Mais, voilà, ce fut de Betty comme de son ami
Joseph Müller. Il fallut recourir à la gamme chromatique pour lui
trouver sa note, et finalement le mi bémol finit par lui être attribué.
Je fus d'abord chagriné, mais en y réfléchissant bien je n'eus qu'à
m'applaudir. Betty avait le mi bémol et moi le ré dièze. Eh bien,
est-ce que ce n'est pas identique ?… Et je me mis à battre des mains.
« Qu'est-ce qui te prend, petit ? me demanda l'organiste, qui fronçait
les sourcils.
— Il me prend beaucoup de joie, monsieur, osai-je répondre, parce que
Betty et moi nous avons la même note…
— La même ? » s'écria maître Effarane.
Et il se redressa d'un mouvement si allongé que son bras toucha le
plafond.
« La même note ! reprit-il. Ah ! tu crois qu'un ré dièze et un mi
bémol c'est la même chose (4), ignare que tu es, oreilles d'âne que tu
mérites ! Est-ce que c'est votre Églisak qui vous apprenait de telles
stupidités ? Et vous souffriez cela, curé ?… Et vous aussi, magister…
Et vous de même, vieille demoiselle ? »
La sœur de M. Valrügis cherchait un encrier pour le lui jeter à la
tête. Mais il continuait en s'abandonnant à tout l'éclat de sa colère.
« Petit malheureux, tu ne sais donc pas ce que c'est qu'un comma, ce
huitième de ton (5) qui différencie le ré dièze du mi bémol, le la
dièze du si bémol, et autres ? Ah ça ! est-ce que personne ici n'est
capable d'apprécier des huitièmes de ton ? Est-ce qu'il n'y a que des
tympans parcheminés, durcis, racornis, crevés dans les oreilles de
Kalfermatt ? (6) »
On n'osait pas bouger. Les vitres des fenêtres grelottaient sous la
voie aiguë de maître Effarane. J'étais désolé d'avoir provoqué cette
scène, tout triste qu'entre la voix de Betty et la mienne il y eût
cette différence, ne fût-elle que d'un huitième de ton. M. le curé me
faisait de gros yeux, M. Valrügis me lançait des regards...
Mais l'organiste de se calmer soudain, et de dire :
« Attention ! Et chacun à son rang dans la gamme ! »
Nous comprîmes ce que cela signifiait, et chacun alla se placer suivant
sa note personnelle, Betty à la quatrième place en sa qualité de mi
bémol, et moi après elle, immédiatement après elle, en qualité de ré
dièze. Autant dire que nous figurions une flûte de Pan, ou mieux les
tuyaux d'un orgue avec la seule note que chacun d'eux peut donner.
« La gamme chromatique, s'écria maître Effarane, et juste. Ou sinon !…
»
On ne se le fit pas dire deux fois. Notre camarade chargé de
l'ut commença ; cela suivit ; Betty donna son mi bémol puis moi mon ré
dièze, dont les oreilles de l'organiste, paraît-il, appréciaient la
différence. Après être monté, on redescendit trois fois de suite.
Maître Effarane parut même assez satisfait.
« Bien, les enfants ! dit-il. J'arriverai à faire de vous un clavier
vivant ! »
Et, comme M. le curé hochait la tête d'un air peu convaincu :
« Pourquoi pas ? répondit maître Effarane. On a bien fabriqué un piano
avec des chats, des chats choisis pour le miaulement qu'ils poussaient
quand on leur pinçait la queue ! » (7) « Un piano de chats, un piano de
chats ! » répéta-t-il.
Nous nous mîmes à rire, sans trop savoir si maître Effarane parlait ou
non sérieusement. Mais, plus tard, j'appris qu'il avait dit vrai en
parlant de ce piano de chats qui miaulaient lorsque leur queue était
pincée par un mécanisme ! Seigneur Dieu ! Qu'est-ce que les humains
n'inventeront pas !
Alors, prenant sa toque, maître Effarane salua, tourna sur ses talons
et sortit en disant :
« N'oubliez pas votre note, surtout toi, monsieur Ré-Dièze, et toi
aussi, mademoiselle Mi-Bémol ! »
Et le surnom nous en est resté.
Jules Verne : Monsieur Ré-Dièze et Mademoiselle Mi-Bémol. Le Figaro
illustré N° 45, décembre 1893, pp. 221 à 228.
Notes :
1) 870 vibrations, cela donne un "la3" à 435 Hertz, ce qui était
effectivement la norme à cette époque, officialisée par la conférence
de Vienne en 1885. Ce n'est qu'en 1953 que la conférence de Londres
définira le "la3" officiel à 440 Hz à 20°.
ATTENTION : deux confusions à éviter :
a) Lorsque Ré-dièze constate que la vertèbre de Maître Effarane vibre à
870 vibrations "normales", il parle de "vibrations simples". Observons,
en effet, une corde, de guitare (ou de harpe, ou une corde à linge bien
tendue, ça marche aussi). Lorsqu'elle ne vibre pas, elle est immobile à
son point d'équilibre. Dès qu'on la fait vibrer, elle se déplace d'un
côté du point d'équilibre, y revient, puis de l'autre côté, et y
revient. La vibration simple est seulement la portion de mouvement que
fait la corde pour se déplacer d'un côté du point d'équilibre et y
revenir. Les Hertz prennent en considération le cycle complet, c'est à
dire le mouvement "point d'équilibre, déplacement sur un côté, retour
au point d'équilibre, déplacement sur l'autre côté, retour au point
d'équilibre". On peut alors parler de vibrations doubles. Le calcul des
vibrations simples a été rendu possible par le tonomètre de Scheibler,
on devrait dire de Koenig, car si Scheibler en a eu l'idée, c'est
Koenig qui l'a réalisé.
https://portail.polytechnique.edu/musx/fr/tonometre
Donc, c'est un calcul élémentaire, un Hertz est égal à deux vibrations
simples, deux allers-retours, qui forment un cycle. Le diapason moderne
vibre à 440 cycles par secondes, c'est-à-dire à 880 vibrations simples
(je préfère *cycles* à *périodes*, car les physiciens appellent parfois
"périodes" les "vibrations simples").
b) Dans les pays latins, en tout cas en France, le "la" de référence
est appelé "la3". C'est le premier "la" qui se trouve à droite du do
central du piano, celui qu'on appelait le "do de la serrure" lorsque
les pianos avaient encore des serrures pour verrouiller le couvercle du
clavier. Mais dans le système anglo-saxon ce "la" est appelé "A4",
c'est-à-dire "la4", car ces pignoufs ignorant Guy d'Arezzo, Ut queant
laxis, Resonare fibris, etc. utilisent des lettres pour nommer les
notes. Cela, évidemment, prête à confusion. Chez les Allemands, on
parle de A 440, ce qui est plus simple.
2) Un petit truc pour trouver facilement le "do" à partir du "la" du
diapason. Chantez, en prenant le "la" comme note de départ : "Il était
un petit navire". Arrêtez-vous à "un", pas la peine d'aller plus loin.
Le "un", c'est le do (la la la do). C'est évidemment plus facile de
trouver la tierce mineure supérieure que la sixte majeure descendante,
mais si vous avez quand même du mal, chantez le début de la célèbre
berceuse de Brahms (Wiegenlied op. 49/4), toujours à partir du "la" du
diapason : la la do, la la do, vous l'avez deux fois.
3) On écrit plutôt "dièse" aujourd'hui, mais l'orthographe "dièze" a
été utilisée par de très nombreux auteurs (Proust, Flaubert, Gide,
Céline, Maurois, etc.)
4) Ici est soulevé un point capital qui, pendant des siècles, a
conditionné, bouleversé et finalement permis à la musique occidentale
de prendre son essor. On trouvera sur Internet des milliers et des
milliers de pages plus ou moins érudites consacrées à ce drame absolu
qu'on peut ainsi résumer : 12 quintes justes ne s'ajustent pas
exactement dans 7 octaves. Énoncé comme ça, ça a l'air anodin, mais
c'est cataclysmique. Les octaves ont un rapport de 2 entre elles ("la4"
880 Hz est l'octave supérieure de "la3" 440 Hz, lui-même octave
supérieure de "la2", 220 Hz, etc., et ça marche dans les deux sens,
"la5" sera à 1760 Hz.
Les quintes, elles, sont calculées depuis Pythagore par le rapport 3/2,
donc 1,5. Ainsi, la quinte du la 440 (le "mi") sera de 440*1,5 = 660
Hz. La quinte du mi 660 Hz (le "si") sera de 660*1,5 = 990 Hz, etc. De
quinte en quinte, chacune étant calculée à partir de la précédente, on
obtient une suite de 12 quintes (on s'arrête à 12, parce qu'on
considère que le son de la dernière quinte, "si#", est identique à la
première note de la première quinte, "do", 7 octoves plus bas, mais on
pourrait continuer la série à l'infini, avec des doubles dièses, puis
des triples dièses, etc.). Ces 12 quintes sont : do-sol, sol-ré, ré-la,
la-mi , mi-si, si-fa#, fa#-do# do#-sol#, sol#-ré#, ré#-la#, la#-mi#,
mi#-si#. On appelle cela le cycle des quintes et on le représente
généralement sous forme de cercle (j'aurais dû commencer par "fa"
plutôt que par "do", mais c'est pour simplifier). Ramenées à une même
octave, les sons de ces douze quintes constituent les 12 notes de la
gamme dite chromatique, les onze touches d'un piano, blanches et
noires, comprises entre deux "do" qui se suivent. Sauf que… Catastrophe
! La dernière de la série, "si#" est très proche de la note "do",
tellement proche qu'on n'a pas hésité à les confondre (on appelle cela
une "enharmonie", deux notes de nom différent qui produisent le même
son, comme sol# et lab, par exemple). Mais voilà, elles n'ont pas,
naturellement, tout à fait le même son. Ces douze quintes, qui se
déroulent avec des rapports de 3/2 sur "à peu près" 7 octaves, ne
correspondent pas exactement aux 7 octaves qui ont entre elles un
rapport de 2. La preuve : 2^7 = 128. 1,5^12 = 129,746337890625. Cette
minuscule différence, ce 1,74633 etc. (minuscule en taille, mais énorme
en conséquences), s'appelle le comma pythagoricien. Pour résoudre ce
problème en apparence insoluble, on a imaginé des tas de solutions, qui
consistaient à bidouiller les hauteurs des notes de la gamme pour
raboter, gommer ce comma inopportun, le diluer dans la masse. On
appelle cela le "tempérament". Si Bach voulait qu'on joue ses préludes
et ses fugues sur un clavier "bien tempéré", c'est parce que sur un
clavier non tempéré, cela aurait sonné faux. Comme paraissent sonner
faux des instruments non tempérés comme, par exemple, le cor de chasse
:
En fait, ce sont eux qui sonnent "juste", c'est-à-dire "naturellement",
selon les lois de la physique. La musique telle que nous la pratiquons,
mes gueux, est un système artificiel, j'ai envie de dire culturel, et,
au sens large, idéologique.
Les théoriciens ont imaginé des tas de tempéraments différents,
Zarlino, Werckmeister, Vallotti, Kirnberger, Rameau, etc. Et même
Bach. Certains musicologues ont avancé l'idée que la frise qui
surmontait l'édition originale du Clavier bien tempéré était en réalité
un codage indiquant le tempérament souhaité par le Cantor :
https://www.clavecin-en-france.org/spip.php?article52
L'Occident, pragmatique, a finalement adopté le "tempérament égal",
c'est-à-dire qu'on a abandonné le principe des rapports mathématiques
des quintes, et on a divisé l'octave en douze intervalles
rigoureusement égaux. C'est le tempérament qui permet l'empilement de
sons, l'harmonie, les cathédrales sonores, les accords, la verticalité.
Les civilisations qui utilisent des instruments non tempérés ne
connaissent pas l'harmonie. Leur musique reste horizontale.
Un ancien intervenant sur framc, DGW (Didier Giraud de Willot, je
crois) avait réalisé un superbe site Internet qui traitait de manière
très érudite des problèmes du tempérament et de l'accord des
instruments de musique. Cette mine d'informations s'appelait
"organ-au-logie.org", malheureusement, elle semble avoir disparu du
Ouaibe. Si quelqu'un a des informations sur le site ou sur son auteur,
je suis preneur.
5) On considère aujourd'hui que le comma représente un 1/9 de tons. En
fait, il est quelque part entre le 8ème et le 9ème, plutôt vers 8,5.
6) Le musicologue et pédagogue belge (mais Suisse de cœur) Edgar
Willems (1890-1978) a mis au point une méthode d'enseignement musical
dans laquelle il prône l'éducation de l'oreille, au moyen notamment
d'un "carillon intratonal". Il s'agit d'une sorte de petit xylophone
comportant des lames accordées au 9ème de ton, voire au 18ème de ton.
C'est-à-dire qu'entre un do et un ré, il y a 8 ou 17 lames
intermédiaires. Le jeu consiste à les placer dans l'ordre. Évidemment,
contrairement aux carillons normaux, les lames sont toutes
rigoureusement de la même longueur, on ne peut pas s'appuyer sur leur
taille, seule l'oreille permet de les différencier. Si les commas
s'entendent assez bien, avec un peu de concentration et d'entraînement,
c'est beaucoup plus difficile avec des 18ème de ton.
https://www.leseditionspromusica.com/boutique/carillon-intratonal/
7) Ad Musicam avait posté il y peu un lien vers une gravure
représentant cette horreur. Je le redonne ici :
https://tinyurl.com/murzaxep
L'existence de cet instrument est attestée par Juan Cristoval Calvete
de Estrella, un noble espagnol auteur du "très-heureux voyage fait par
très-haut et très-puissant prince Don Philippe, fils du grand empereur
Charles-Quint, depuis l'Espagne jusqu'à ses domaines de la
Basse-Allemagne, avec la description de tous les États de Brabant & de
Flandre". L'instrument, s'il faut en croire ce témoin, fut construit à
l'occasion de l'Ommegang de Bruxelles (une procession religieuse
remontant à 1348 et toujours organisée de nos jours) du 2 juin 1549. Je
cite le texte, dont je n'ai pu trouver l'original, je me contente de la
transcription présentée dans "Bruxelles à travers les âges" de Louis
Hymans, Bruxelles, Bruylant-Christophe et Cie, s.d., p. 182 : "On vit
ensuite s'avancer une musique de façon et d'invention bien étranges. Un
jeune garçon travesti en ours était assis sur un char où il touchait de
l'orgue. Dans le corps de cet instrument on avait remplacé les tuyaux
par des chats vivants, dont les queues réunies en l'air correspondaient
aux touches du clavier, de façon que l'ours, en appuyant sur celles-ci,
tirait les queues des chats dans une certaine mesure proportionnée à
l'effet qu'on voulait obtenir plus ou moins fort; les animaux se
sentant tirés par la queue, poussaient des miaulements en rapport avec
la douleur qu'ils éprouvaient, et de ces cris graves ou aigus il
résultait des accords qui ne manquaient pas de justesse, ni surtout
d'originalité et d'étrangeté."
C'est évidemment une monstruosité, une infâmie sans nom. Pour nous, qui
partageons notre maison, toujours ouverte à tous les vents, avec au
moins une dizaine de chats, Miss, mon amoureuse, Dao, Duan, Roudoudou,
Laï, Caramel, Tartinette, Nam Pueng, La Chouineuse, Mère Courage, etc.
l'idée qu'on puisse seulement frapper un chat nous est absolument
odieuse. Et quand parfois l'un s'en va, soif d'aventure, caprice ou
histoire d'amour, c'est rongés par l'inquiétude que nous espérons son
retour. Ceci dit, entre la bouffe et le vétérinaire, ça finit par
coûter assez cher, ces bestioles. C'est que ça bouffe, un greffier !
Alors 10, sans compter les copains, c'est un budget !
--
Paul & Mick Victor
Quand on aime, on ne compte pas