Post by AlainBonjour le forum,
Quelle pièce de musique classique est, selon vous, emblématique de la
France ?
Salut à vous, gens du forum ! Oh, comme je vous ai négligés, mes gueux !
J'avais même fini par ne plus vous lire du tout. L'éloignement, les
épreuves, la maladie, la camarde qui frappe à la porte, les amis, les
parents qui un à un disparaissent, la peau qui se ride, les cheveux qui
tombent, la grimace du toubib qui lit le résultat des dernières
analyses, la vieillerie, toussa... Et vous, ingrats, vous m'avez oublié.
Loin des yeux, loin du cœur, mais c'est la vie, c'est normal, rien à
dire. Et voilà qu'après tant d'années, au hasard d'une recherche sur
Internet, je retombe sur un vieux fil du forum, et, de vieux fils en
vieilles aiguilles, je vous retrouve aujourd'hui, toujours fidèles au
poste, les anciens, ceux qui ont connu la création de framc, du temps
où, consciencieusement, Bruno Cornec postait chaque mois une charte que
personne ne lisait. Salut donc à vous, Melmoth, Alain CF, Jean Toulet,
Paul-Olivier Margail, Olivier Miakinen, et tous les autres, et les
disparus, et les oubliés, et les nouveaux, tous les musilomanes qui ont
fait vivre ce forum et continuent vaille que vaille à l'alimenter.
Si j'interviens ici, après un si long silence, c'est que ce fil sur la
musique française me parle tout particulièrement. Voilà si longtemps que
je vis loin de la France, dans un pays qui m'accueille, avec
bienveillance, certes, mais d'abord et avant tout sous d'impératives
conditions de ressources, et dont, malgré ma meilleure volonté, je n'ai
jamais réussi à apprécier ni la musique, ni la cuisine. Tel Charles
d'Orléans, en regardant vers le païs de France, j'ai parfois, sous les
palmiers, comme un pincement nostalgique, quelque chose qui chante au loin,
Une chanson des temps passés
Parle d'un chevalier blessé,
D'une rose sur la chaussée
Et d'un corsage délacé...
Qu'est-ce qu'il disait, déjà, m'sieur l'président ? « Il n'y a pas de
culture française. Il y a une culture en France. Elle est diverse ».
Bien évidemment, il a dit une connerie. Il y a peut-être, sans doute,
une culture en France, mais faut-il être sourd, inculte, aveugle ou
décérébré par quelque idéologie mondialiste pour ne pas admettre qu'il y
a aussi, et surtout, une culture française, une belle et riche culture,
tellement riche et tellement belle qu'on peut, sans exagérer, lui
décerner une majuscule, à cette Khulture. Tiens, par exemple, m'sieur le
président, il y a une peinture française. Tu crois qu'un Allemand aurait
pu peindre l'Embarquement pour Cythère ? qu'un Japonais aurait pu
brosser le Pont de Mantes comme Corot ? (j'affectionne particulièrement
ce tableau, que j'ai découvert adolescent en illustration d'une pochette
de disque du 1er quatuor avec piano de Fauré, musique ô combien
française). Tu crois qu'un Mexicain aurait pu peindre comme Seurat le
Dimanche après-midi à l'île de la Grande-Jatte dont une reproduction
illumine un de mes murs, en face d'un ciel interminable d'Eugène Boudin
(eh oui, normal dans ma région étrangère, tiens, voilà du Boudin !).
Il y a, bien sûr, une poésie française, m'sieur le président. Dites-moi
où, dans quel pays, un poète aurait pu écrire :
Ah, je meurs ! Ah, baise-moi !
Ah, maîtresse, approche-toi !
Tu fuis comme faon qui tremble.
Au moins souffre que ma main
S'ébatte un peu dans ton sein,
Ou plus bas, si bon te semble.
et quelle poétesse aurait été assez salope pour lui répondre :
Baise m’encor, rebaise-moi et baise ;
Donne m’en un de tes plus savoureux,
Donne m’en un de tes plus amoureux :
Je t’en rendrai quatre plus chauds que braise.
T'imagines une Anglaise écrire ça ? Shocking ! Ou une Polonaise ? Tu
connais des Polonaises salopes à ce point, toi ? Allons, allons, soyons
sérieux !
Et il y a, bien sûr, c'est là que je voulais en venir, une musique
française, qui chemine à travers les siècles, tantôt visible, tantôt
souterraine, parfois fourvoyée, hélas, une "fraîche et limpide rivière
qui s'appelle la tradition française et qui se glisse sous le théâtre
musical comme la Grange-Batelière sous le Palais Garnier" pour reprendre
la belle formule de Vuillermoz. Évidemment, cette tradition française,
on finit par ne plus la voir à force d'avoir le nez dessus. Lorsqu'on
vit au milieu, qu'on est immergé dedans, elle fait partie du décor, on
n'y fait plus attention. Mais lorsqu'on la contemple avec un peu de
recul, un peu de distance, elle scintille comme une étoile dans
l'immensité du firmament. Et du recul, de la distance, faites-moi
confiance, mes gueux ! J'en ai ! Quelques milliers de kilomètres...
Je suis né en France, (un accident de capote - anglaise évidemment, donc
forcément perfide. Une capote nationale n'eût pas eu ce comportement
fourbe et je n'aurais jamais vu le jour), d'un père Français de France
et d'une mère Française de France. D'un côté, c'était la Normandie,
camembert et calvados, Maupassant et Guillaume le Conquérant. De
l'autre, c'était l'Ardèche, les huguenots, les châtaignes et les fiers
frères Montgolfier. Mes grands-parents étaient Français de France. Et
mes arrière-grands parents aussi. Je suis donc ce qu'on appelle un
Français de souche, même s'il est probable qu'il ne faudrait pas
remonter très avant dans ma généalogie, comme dans celle de la plupart
mes compatriotes, pour trouver un métèque, un étranger venu jadis,
baluchon sur l'épaule, faire son trou dans ce beau pays.
Avec quoi crée-t-on une identité nationale ? ? Une devise ? un hymne
poisseux de sanguinpur, un drapeau, une équipe de foot ? un chanteur
primé à l'Eurovision ? la poule au pot, le pot au feu, la blanquette de
veau ou le cassoulet ? Coco Chanel ? Alain Delon ? quelques figurines
historiques repeintes et relouquées dans les vieux livres d'histoire,
Clovis, la Pucelle, le Bayard sans peur et sans reproche, le Petit
caporal, le bon roi Henri IV, le cruel et rusé Louis XI (dit le Prudent)
qui mit La Balue en cage, Pasteur vaccinant le berger Jupille, le
gendarme Merda (rires) fracassant la mâchoire de Robespierre, Paris vaut
bien une messe, souviens-toi du vase de Soissons, tu montreras ma tête
au peuple, qu'ils mangent de la brioche, tirez les premiers, messieurs
les Anglais, tu trembles, carcasse, le jour où nos belles couleurs
flotteront sur la cathédrale de Strasbourg, de quoi faire se gausser les
plus jeunes et tirer quelques larmes aux vieux cons, mais sans doute un
peu de tout cela quand même. On créé une identité nationale avec une
langue, une histoire, une culture et une population. Si je suis Français
(et je le reste même au bout du monde, - Prairie adieu, mon espérance,
adieu belle herbe, adieu les blés -, je veux et je peux vivre en
harmonie avec tous les peuples, en respectant scrupuleusement leurs us,
leurs coutumes et leurs croyances, en partageant leur étrange nourriture
(avec modération), mais il m'est impossible de me dissoudre dans une
identité qui ne sera jamais la mienne, le voudrais-je, je ne le pourrais
pas, si je suis Français, disais-je, c'est beaucoup par ce fil invisible
qui relie Villon, Ronsard, Charlemagne, Aragon, Berlioz, Lavoisier,
Daguerre, Jaurès, Molière, Trenet, Racine, Voltaire, Courbet, Ampère,
Saint-Exupéry, Diderot, Marie Curie, Bourvil, Hugo, Brassens, Jaurès,
Delacroix, Vercingétorix, Astérix, Beaumarchais, Musset, Péguy, Le Nain,
Auguste Renoir, Jean Renoir, Coluche, Marcel Proust, Chrétien de Troyes,
Degas, Claudel, Verlaine, Rimbaud, Mallarmé, Apollinaire, Cézanne,
Prévert, Desnos, Couperin, Lino Ventura l'Italien, Rousseau le Genevois,
Manet, Ravel, Cosette et Jean Valjean, Béranger, Chénier, Chateaubriand,
Lamartine, un raton-laveur, Molière (comment ? je l'ai déjà dit ?) et...
Poulenc (Francis).
C'est là que je voulais en venir. Je vais parler de Poulenc (Francis).
Vous pouvez prendre des notes, m'sieur le président.
En créant la Société Nationale de Musique en 1871, Saint-Saëns et
Bussine voulurent combattre l'influence germanique où se fourvoyait
l'Ars Gallica et remettre la musique française sur la voie tracée depuis
le Jeu de Robin et Marion, Janequin, Lully le rital, Couperin et Rameau.
L'initiative fut un succès, et même si les jeunes têtes brûlées de la
génération montante se moquèrent un peu des vieilles barbes de la
Nationale, il est évident que Ravel, Debussy, le Groupe des Six, et même
Messiaen leur doivent beaucoup.
Mozart n'aimait guère la France, et l'accueil poli que lui réserva Paris
en 1778 le blessa peut-être davantage qu'une franche hostilité. "Si l'on
était dans un lieu où les gens ont des oreilles, un cœur pour sentir, où
l'on comprend un tout petit quelque chose à la musique, et où l'on a un
peu goût, je rirais de bon cœur de tout cela. Mais je suis entouré de
bêtes et d'animaux (pour ce qui est de la musique). Comment pourrait-il
en être autrement, d'ailleurs, ils ne se comportent pas autrement dans
toutes leurs actions, amours et passions." La langue française,
insupportable et "impossible à chanter" ne trouve pas grâce à ses yeux.
La "saleté incroyable" de Paris le révulse (que dirait-il aujourd'hui,
si j'en juge par les images qui me parviennent ?). Quant à Voltaire,
esprit français s'il en fut, avec toutes les qualités et les défauts que
cela implique, le jugement de Wolfgang est sans appel : "Voltaire, ce
mécréant et fieffé coquin, est crevé pour ainsi dire comme un chien -
comme une bête. - Voilà sa récompense !" Si Mozart reste malgré tout
dans cet enfer, en priant dieu de lui donner le courage de supporter
toutes ces horreurs et de ne pas lui gâter le goût au contact de tels
rustres, c'est uniquement "pour se faire honneur et pour faire honneur à
la nation allemande". Un sacrifice patriotique, en quelque sorte.
Mozart était sévère, et un peu injuste. Il aurait certainement partagé
beaucoup d'idées de Voltaire, son frère en maçonnerie. L'esprit français
est volontiers décrit comme brillant, mais superficiel, dilettante,
frivole et futile. On lui reconnaît, en revanche, une certaine élégance.
Il n'a pas le goût des grandes passions théâtrales et sonores à la mode
italienne, il n'a pas la rigueur et le sérieux - d'aucuns diront : la
lourdeur - de l'esprit allemand. Dans l'imagerie populaire
internationale, forcément réductrice et caricaturale, l'Italien est
comédien un peu hystérique, l'Espagnol fier et ombrageux, l'Allemand
rigide et discipliné, l'Anglais flegmatique, et le Français versatile,
une grande gueule qui n'a finalement pas grand-chose à dire, peu fiable
et insouciant. En France, c'est bien connu, tout finit par des chansons,
et lors des révolutions qui ensanglantent les places publiques, c'est au
son du violon que les têtes tombent dans le son des paniers. Vive le
son, vive le son ! Poulenc, "le plus français des musiciens français",
selon Jean Roy, était capable du meilleur et du pire. Mystique, il
pouvait atteindre des sommets dans son art, en témoignent ses Litanies à
la Vierge Noire, son Stabat Mater ou ses Quatre motets pour un temps de
pénitence. Canaille, il ne reculait pas devant l'appel vulgaire d'un
cornet à piston ou d'une trompe d'automobile, d'une valse chaloupée ou
d'une chanson paillarde. Un signe de croix par-ci, une main au cul
par-là. Un "moine-voyou" en quelque sorte comme, paraît-il, il s'était
surnommé lui-même.
Je savoure dans la musique de Poulenc les oxymores d'une gaîté toujours
voilée, d'une grave futilité, d'une frivolité profonde, et j'y devine,
rêveur, les ciels pastels d'Île-de-France, ni tout à fait bleus, ni tout
à fait gris, les sous-bois proprets des forêts civilisées où l'on ne se
perd jamais, car il y a toujours une buvette ombragée au détour d'un
sentier, un caboulot où coule un petit vin frais, (de celui qu'on ne
trouve pas dans le commerce parce que le patron le fait venir
directement de la propriété de son beau-frère). J'aime parcourir les
allées bien droites et bien ratissées des jardins à la française,
bordées de Vénus en plâtre et d'ifs taillés en cônes, et si me
parviennent au loin les échos d'une chasse à courre, je ne m'inquiète
pas trop pour la biche aux abois, c'est plus sûrement une cocotte du
Moulin-Rouge qu'un tendre cervidé. Entre le monastère et la guinguette
des bords de Marne, la musique de Poulenc mêle les moines recueillis et
austères de l'abbaye voisine au joyeux populo en bras de chemise et en
canotier qui pique-nique sur l'herbe. C'est un peu de java débraillée
qui s'invite au Petit Trianon, c'est Max Linder ou Babar qui passent -
ils ne font que passer - dans le marbre des tragédies de Corneille.
À trois siècles d'intervalle, dans les allées d'un jardin à la française
qui devait ressembler à celui qu'il avait fait aménager devant sa maison
du Grand Côteau, près d'Amboise, dans cette région de Touraine qu'on
appelle joliment le Jardin de France, Poulenc ne pouvait pas ne pas
croiser un jour ou l'autre les pas du bon La Fontaine. Le fabuliste
mérite sans doute, lui aussi, le titre de plus français des poètes
français, et de seul poète, peut-être - avec Racine - dans un siècle de
versificateurs. Il a, comme Poulenc, cette gravité un peu désabusée,
cette nonchalance rêveuse, cette pudeur de ne pas montrer ses larmes et
de sourire alors qu'il voudrait pleurer, et ce goût plus gaulois que
français pour la grasse gaudriole, la cuisse avenante, le corsage
opulent et la farce libertine.
Cette rencontre eut lieu entre 1940 et 1942, aux heures les plus sombres
de l'Occupation. Elle a donné "Les Animaux modèles", à l'origine un
ballet illustrant des fables, qui fut réduit en une suite d'orchestre
composée d'une introduction et d'une conclusion encadrant quatre fables.
Le ballet intégral a été enregistré pour Timpani par Jonathan Darlington
et l'Orchestre Philharmonique du Luxembourg. La suite d'orchestre a été
interprétée par Georges Prêtre et l'Orchestre de la Société des Concerts
du Conservatoire, version de référence. Le double Cd EMI consacré aux
oeuvres symphoniques de Poulenc par Prêtre est d'ailleurs un document
que tout musilomane se doit de posséder.
Des quatre fables qui constituent la suite, je garderai la Mort et le
Bûcheron, à mon avis, la plus achevée. Du côté du poète, vingt vers
admirables de concision, un bijou ciselé par un maître orfèvre du langage.
Un pauvre Bûcheron tout couvert de ramée,
Sous le faix du fagot aussi bien que des ans
Gémissant et courbé marchait à pas pesants,
Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée.
Je vais te faire une confidence : je le connais, ce bûcheron. Tout droit
sorti d'un tableau de Le Nain, c'est un de mes ancêtres, c'est
certainement un des tiens aussi. Depuis le Moyen Âge, depuis la nuit des
temps, il marche gémissant et courbé, écrasé sous le poids de son
fardeau, c'est le Pauvre Martin, pauvre misère, de Georges Brassens,
c'est le croquant, le jacques-bonhomme, le vilain, le cul-terreux, le
péquenaud, le bouseux qui vit de la terre et la fait vivre.
Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur,
Il met bas son fagot, il songe à son malheur.
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde ?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde ?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos.
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
Le créancier, et la corvée
Lui font d'un malheureux la peinture achevée.
Mais le tableau est décidément trop sombre pour Poulenc l'optimiste.
Même si quatre coups de l'orchestre viennent ponctuer par deux fois la
quadruple malédiction "Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts",
le délicieux Andantino qui constitue le passage central de l'œuvre
suggère davantage la nostalgie du temps passé que le tragique désespoir
du temps présent. Ce hautbois charmeur a décidément la voix trop tendre,
trop rêveuse et trop sensuelle pour inciter à la mort. On est en France,
c'est pour de rire, ce n'est qu'une fable, malgré quelques notes de
trombone qui voudraient nous en faire accroire. Pour qui écoute bien, il
y a au loin, très loin, des souvenirs de chansons enfantines et celui
qui a le nez très fin percevra peut-être une très légère odeur de
moules-frites qui l'invitera à s'asseoir à la terrasse d'une guinguette
au bord de l'eau. Aussi, lorsque le bûcheron appellera la mort en
sifflant trois fois, on sait d'avance qu'il ne lui demandera pas le
trépas libérateur.
Il appelle la mort, elle vient sans tarder,
Lui demande ce qu'il faut faire
C'est, dit-il, afin de m'aider
À recharger ce bois ; tu ne tarderas guère.
Le trépas vient tout guérir ;
Mais ne bougeons d'où nous sommes.
Plutôt souffrir que mourir,
C'est la devise des hommes.
Il y a quelque chose d'indéfinissable dans les détours de la mélodie,
dans les cadences, je ne saurais l'analyser précisément, mais c'est pour
moi une évidence : c'est de la musique française, jusqu'au plus humble
soupir, jusqu'à la queue de la plus modeste croche. Ces Animaux modèles
me confortent dans le sentiment d'être Français, et, même si je n'y suis
pour rien, j'en suis tout de même un peu fier. La musique de Poulenc
tisse pour moi un lien sensible avec celle de Couperin, dont les jolis
titres des pièces pour clavecin, les Idées heureuses, la Tendre Fanchon,
les Petites crémières de Bagnolet, le Tic-Toc-Choc ou les Maillotins, la
Marche des Gris-Vêtus, chantent comme les vers des fables du bon La
Fontaine.
J'ai écrit ce texte en reprenant des bribes d'une ancienne contribution
postée ici voici une douzaine d'année. En la relisant, le constat est
accablant. T'es trop vieux, pépère ! Tu n'y comprends plus rien.
Vétuste, archaïque, Paul & Mick. Obsolète, le bougre, caduc, périmé, bon
pour le rebut, voilà belle lurette que sa date limite de consommation
est dépassée. Cul par-dessus tête, l'enfoiré. Il se disait de gauche,
l'apôtre, ah ouiche ! poudre aux yeux ! Il nous a bien eus ! En fait, ça
saute aux yeux, il est d'extrême-droite, le salaud. Ce nationalisme
exacerbé, ça en dit long sur l’infamie du bonhomme. Tu trouves pas que
ça a quelque chose d'indécent, d'obscène, ce déballage de lieux communs
qui suinte de cébolafrance ? tu vas voir qu'il va nous réciter du Péguy
ou nous chanter du Trenet, si on ne l'arrête pas. Sûr qu'il lorgne du
côté de la Marine, ou pire, du côté du Zemmour. Il nous inflige une
tartine imbuvable d'une centaine de lignes dégoulinantes de nostalgie
foireuse, l'apôtre du cétémieuzavant, il nous fait l'apologie d'un
compositeur suprémaciste blanc qui a composé - horreur - une Rapsodie
nègre (j'ai lu qu'au Québec, le mot était devenu tellement choquant,
tellement infect, tellement dégueulasse, qu'on doit dire désormais "le
mot qui commence par N", comme si, rien que le fait de prononcer cette
saloperie te remplissait la bouche de pus et de sanie. Et Poulenc n'a
pas pris de gant. Il a composé, textuellement, une Rapsodie nègre. Vous
avez bien lu ! De quoi le bannir de toute Histoire de la musique
officielle, et débaptiser tous les conservatoires ou les collèges qui
portent son nom, pour les appeler, par exemple, Joseph Bologne de
Saint-Georges, un compositeur mot qui commence par un N, donc
politiquement acceptable. Et dans toute cette logorrhée, pas un mot sur
le réchauffement climatique, pas un mot sur les minorités opprimées,
rien sur les glorieuses luttes LGBTQ+++++, il nous parle de blanquette
de veau sans un pleur pour le pauvre ruminant arraché à l'amour
maternel, et sans une allusion à l'empreinte carbone désastreuse du
plat. Pourri !
Gen.te.s du forum, je comprends que vous vous sentiez révolté.e.s et
offensé.e.s. Jeunes lecteur.rice, oubliez ce fatras d'insanités et
pardonnez à P&MV, iel est vieux.eille, iel n'est qu'un.e sale con.ne
binaire cisgenre et toussa.
J'écrivais : on crée une identité nationale avec une langue, une
histoire, une culture et une population. La langue, elles est massacrée,
laminée, inclusivée ; l'histoire, elle est falsifiée, trafiquée,
réécrite, et les statues sont déboulonnées (t'imagines que dans mon
livre d'histoire d'écolier, il y avait un chapitre sur Dupleix et
Montcalm, et un autre sur Bugeaud et la conquête de l'Algérie ? Tu vois
le barouf que ça ferait, aujourd'hui, époque où Macdonald est un
hamburger plutôt qu'un général d'Empire ? La culture, elle est méprisée,
superbement ignorée, voire rejetée, c'est aujourd'hui whatsapp, tik-tok,
le rap et Chatgpt. Quant à la population... Ça y est, la boucle est
bouclée, tu vas voir qu'il va nous parler de grand remplacement,
l'ignoble ! Alors, vous croyez que l'identité nationale - ou ce qu'il en
reste - pourra s'en remettre ? Ben non. Il est trop tard. Pour moi,
j'arrive au bout du chemin, bien plus près de la table des matières que
de la préface. Il me reste Poulenc, et la consolation de ne pas avoir eu
d'enfants. Jeter des mômes dans l'enfer orwellien qui s'annonce, quelle
horreur !
Allons, allons, terminons par un peu d'optimisme en cette époque épique
et opaque et changeons de méridien. J'avais, en son temps d'enfance,
célébré la miraculeuse Aimi Kobayashi, petite pianiste prodige japonaise
qui te balançait, à neuf ou dix ans, un concerto de Mozart, un nocturne
de Chopin ou une Arabesque de Debussy avec une musicalité et une
technique qui laissaient pantois les plus exigeants. Que devient-elle ?
À presque 30 ans, force est de constater qu'elle fait une carrière en
demi-teinte, 4ème ex-aequo au concours Chopin 2015 (c'est déjà bien,
certes, mais dans les concours internationaux, seule la première place
peut laisser espérer une carrière, et encore, ce n'est qu'un faible
espoir). Elle a enregistré quatre disques, qui n'ont pas fait
l'unanimité, jugés trop sages, trop conventionnels, trop ceci, pas assez
cela. C'est le drame des enfants prodiges. On peut être en avance de
plusieurs années sur ses petits camarades, lorsqu'on atteint 18 ans, les
petits camarades vous ont rattrapés, et l'on se retrouve sans avantage
particulier dans la compétition internationale. Et qui sait même si le
statut d'enfant prodige ne constitue pas un handicap aux yeux de
l'opinion, toujours critique envers ce qui la dépasse ? Ben oui, quand
tu regardes tes mômes avachis sur le canapé en train de tapoter sur leur
smartphone, et que t'en vois d'autres qui sont capables de telles
performances, tu te poses des questions, c'est fatal. Alors tu cherches
des consolations, tu discrédites ces bambins lunaires que tu qualifies
de singes savants, et, inconsciemment, tu leur en veux un peu : oui,
d'accord, ils savent faire bouger leurs oreilles, mais ces gamins
sont-ils heureux ? Ne les oblige-t-on pas à travailler comme des forçats
et à sacrifier leur enfance ? Leur motivation n'est-elle pas davantage
l'ambition, voire l'appât du gain de leurs parents ? Ne va-t-on pas en
faire des aigris ? des ratés ? Mes mômes sont cons, d'accord, mais au
moins ils sont heureux, parfaitement intégrés à la médiocrité et à la
bêtise ambiantes. Le site officiel d'Aimi nous apprend qu'elle a fait du
cinéma, et qu'aujourd'hui elle va se marier et attend un bébé.
Souhaitons-lui tout le bonheur du monde.
Et pour nous souvenir de ces moments ineffables (de La Fontaine) :
Et dans un impromptu de Chopin, à 11 ans (c'était un bis de concert.
Avancez de 2 minutes pour couper les applaudissements).
C'est d'une autre que je voudrais parler ici. Elle est Japonaise aussi,
elle porte le même type de robe avec un gros nœunœud dans le dos, la
mode fillette ne semble pas avoir beaucoup évolué au Japon, et elle
s'appelle Himari Yoshimura, elle joue du violon comme jamais Paganini
n'a été capable d'en jouer à 10 ans. Elle a déjà à son répertoire
plusieurs concertos, dont Paganini, Tchaïkovsky, Mendelssohn, etc. Je me
suis inscrit à son fan-club, ceci vaut tous les éloges.
Les Chants bohémiens de Sarasate :
Le concerto de Tchaïkovsky :
Vous en trouverez d'autres sur Youtube, si ça vous intéresse. Et si ça
ne vous intéresse pas, c'est votre droit, je vous salue quand même et
vous dis, à bientôt… peut-être.
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Paul & Mick Victor
sénile